Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 18 juin 2025, n°25-90.011

La question de l’égalité des droits procéduraux entre les justiciables selon le cadre d’enquête dont ils font l’objet constitue un enjeu récurrent du contentieux constitutionnel en matière pénale. L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 18 juin 2025 illustre cette problématique à travers le prisme de l’expertise judiciaire.

Un individu est poursuivi devant le tribunal correctionnel de Laon du chef d’agression sexuelle aggravée. Cette poursuite intervient à l’issue d’une enquête préliminaire ou de flagrance, sans qu’une information judiciaire n’ait été ouverte. Dans ce cadre, une expertise a été ordonnée sans que le prévenu n’ait pu exercer les prérogatives reconnues aux personnes mises en examen dans le cadre de l’instruction.

Le tribunal correctionnel, par jugement du 20 mars 2025, transmet une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation. Le prévenu conteste la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions qui ne prévoient pas, lorsque les poursuites sont exercées à l’issue d’une enquête, la possibilité pour la défense de modifier ou compléter les questions posées à l’expert, d’adjoindre un expert ou de présenter des demandes avant la remise du rapport. Le requérant invoque une atteinte au principe d’égalité devant la loi et aux droits de la défense.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si l’absence de droits procéduraux en matière d’expertise pour les personnes poursuivies hors information judiciaire méconnaît le principe d’égalité et les droits de la défense.

La chambre criminelle dit n’y avoir lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Elle retient que les dispositions critiquées s’appliquent uniformément à toutes les personnes poursuivies à l’issue d’une enquête, lesquelles se trouvent dans une situation différente de celles renvoyées après instruction. Elle juge que ces personnes ne sont pas privées d’un procès juste et équitable dès lors que des garanties équivalentes leur sont assurées devant la juridiction de jugement.

Cette décision invite à examiner d’abord la justification de la différence de traitement procédural retenue par la Cour (I), puis à analyser la compensation des droits devant la juridiction de jugement (II).

I. La justification de la différence de traitement procédural

La Cour de cassation fonde sa décision sur une distinction objective entre les situations procédurales (A), tout en rappelant les exigences constitutionnelles encadrant les différences de traitement (B).

A. La distinction entre enquête et instruction comme fondement de la différence

La chambre criminelle relève que « les dispositions critiquées s’appliquent de manière uniforme à toutes les personnes poursuivies à l’issue d’une enquête préliminaire ou de flagrance ». Cette uniformité d’application au sein d’une même catégorie procédurale constitue un premier élément de réponse à la critique tirée de l’inégalité.

La Cour précise ensuite que ces personnes « sont dans une situation différente de celle des personnes renvoyées devant une juridiction de jugement à l’issue d’une instruction ». Cette différence de situation objective justifie, selon la juridiction, l’existence de règles procédurales distinctes. Le critère retenu tient à la nature de la phase préalable au jugement.

L’arrêt mentionne que cette différence s’explique « eu égard notamment à la gravité ou la complexité des faits susceptibles de justifier l’ouverture d’une information judiciaire ». La Cour établit ainsi un lien entre les caractéristiques de l’affaire et le choix du cadre procédural. Les affaires les plus graves ou complexes justifient l’instruction et, partant, les garanties renforcées qui l’accompagnent.

B. Le rappel des exigences constitutionnelles en matière d’égalité procédurale

La Cour de cassation énonce que « le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur prévoie des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel sur la portée du principe d’égalité.

Trois conditions encadrent cette faculté législative. Les différences ne doivent pas « procéder de distinctions injustifiées ». La « différence de traitement qui en résulte » doit être « en rapport direct avec l’objet de la loi ». Enfin, des « garanties égales » doivent être assurées aux justiciables, « notamment quant au respect du principe des droits de la défense ».

La Cour précise que ce principe implique « l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ». Cette exigence constitue le fil directeur du raisonnement qui conduit à examiner les garanties offertes au stade du jugement.

II. La compensation des droits devant la juridiction de jugement

La Cour reconnaît l’absence de certains droits au stade de l’enquête (A), mais considère que des garanties équivalentes existent devant le tribunal (B).

A. L’absence de droits procéduraux en matière d’expertise durant l’enquête

La chambre criminelle identifie avec précision les prérogatives dont le prévenu est privé. Elle vise la possibilité « de modifier ou compléter les questions posées à l’expert ». Elle mentionne également celle « d’adjoindre un expert ». Elle évoque enfin le droit « de présenter des demandes et des observations avant la remise du rapport ».

Ces droits sont effectivement reconnus aux personnes mises en examen dans le cadre de l’information judiciaire par les articles 156 et suivants du code de procédure pénale. Leur absence dans le cadre de l’enquête crée une asymétrie procédurale indéniable. Le prévenu ne peut intervenir sur le déroulement de l’expertise ni en influencer le contenu avant qu’elle ne soit achevée.

Cette situation résulte de la structure même de l’enquête, phase non juridictionnelle dirigée par le procureur de la République. L’absence de juge d’instruction implique l’inapplicabilité des garanties spécifiques à l’information judiciaire.

B. L’existence de garanties équivalentes devant la juridiction saisie

La Cour de cassation conclut que les dispositions critiquées « ne privent pas les personnes poursuivies d’un procès juste et équitable ». Cette affirmation repose sur l’existence de garanties que la juridiction qualifie d’« équivalentes à celles dont elles auraient bénéficié si l’affaire avait fait l’objet d’une information judiciaire ».

Ces garanties s’exercent « devant la juridiction saisie », soit le tribunal correctionnel. Le prévenu peut y contester les conclusions de l’expertise. Il peut solliciter une contre-expertise ou un complément d’expertise. Il dispose de la faculté de faire entendre un expert de son choix. Le principe du contradictoire trouve ainsi à s’appliquer au stade du jugement.

La Cour opère un raisonnement de compensation temporelle. Ce que le justiciable ne peut exercer durant l’enquête lui est offert devant le juge du fond. Cette approche globale du procès pénal permet de conclure au respect des exigences constitutionnelles. Le refus de transmission au Conseil constitutionnel sanctionne l’absence de caractère sérieux de la question soulevée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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