Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 25 juin 2025, n°24-80.361

Par un arrêt du 25 juin 2025, la chambre criminelle casse l’arrêt du 22 décembre 2023 rendu par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes. Le litige portait sur la confirmation d’une saisie pénale générale du patrimoine d’une personne morale.

L’information du 19 mars 2015 pour corruption et blanchiment a conduit, le 29 juin 2023, à la saisie de 2 795 022 euros sur le compte d’une personne morale. L’appel a été formé contre l’ordonnance, en invoquant la disproportion de l’atteinte portée au patrimoine de la personne morale. La juridiction nîmoise a confirmé, retenant qu’un solde de 1 285 781,13 euros suffisait à poursuivre l’activité.

Le pourvoi dénonçait une contradiction avec les pièces, l’arrêt ayant apprécié la proportionnalité sur la base d’un montant créditeur erroné, en violation de l’article 593 du code de procédure pénale. L’enjeu résidait dans l’office du juge face à une saisie générale de patrimoine: contrôle concret de proportionnalité et motivation suffisante, au regard du droit de propriété protégé conventionnellement.

La chambre criminelle énonce d’abord que « Il se déduit des trois premiers de ces textes que le juge qui prononce une mesure de saisie de tout ou partie du patrimoine est tenu d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété au regard de la gravité des faits et de la situation personnelle de leur auteur ». Elle rappelle ensuite que « Tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ». Constatant une analyse lacunaire sur la gravité des faits et une base chiffrée erronée, la Cour casse et renvoie devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier.

I. Le contrôle de proportionnalité des saisies de patrimoine

A. Fondement conventionnel et critères jurisprudentiels

Le contrôle de proportionnalité s’enracine dans l’article 1er du Protocole n° 1 et se trouve relayé par les articles 706-141 et 706-148 du code de procédure pénale. La saisie générale du patrimoine constitue une atteinte grave au droit de propriété, dont l’intensité doit être strictement mesurée.

Le juge doit apprécier l’atteinte en fonction des circonstances de la cause et des éléments du dossier, en confrontant la gravité des faits et la situation de l’auteur à l’objectif poursuivi. La Cour explicite cet office par l’affirmation précitée, qui impose un véritable examen in concreto, excluant toute motivation stéréotypée.

Cette exigence est d’autant plus forte que la saisie intervient en cours d’information, en amont du jugement du fond. L’office du juge de l’instruction, puis celui de la chambre de l’instruction, requiert un contrôle modulé, mais précis, sur la nécessité et la proportion de l’atteinte au patrimoine.

B. Application au cas d’espèce et erreur de base factuelle

La juridiction nîmoise a fondé sa confirmation sur le maintien d’une trésorerie prétendument suffisante. Elle a relevé qu’un montant restait à disposition, permettant la poursuite des activités dans des conditions jugées adéquates. Cette approche vise légitimement à concilier efficacité de l’enquête et sauvegarde de l’activité économique.

Cependant, l’arrêt relevait un solde résiduel sur une base chiffrée inexacte, ce qui fausait l’appréciation concrète de la proportionnalité. La Cour relève que « Les juges ajoutent que la saisie laisse à la libre disposition de l’appelante une somme de 1 285 781,13 euros, lui permettant de poursuivre ses activités ». Cette évaluation ne correspondait pas aux pièces, si bien que l’équilibre recherché se trouvait artificiellement établi.

Le raisonnement d’appel n’était pas davantage complété par une analyse suffisante de la gravité des faits reprochés. Même si l’ordonnance précisait un plafonnement au montant de la plus-value immobilière suspecte, la proportionnalité ne pouvait se déduire d’un seul quantum, sans examen de la situation de l’auteur et des données financières exactes.

II. La motivation exigée et ses implications pratiques

A. Rigueur de la motivation et contrôle de la Cour

La Cour exige une motivation propre, précise et non contradictoire, qui doit répondre à l’ensemble des paramètres pertinents. Elle rappelle que « Tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ». La sanction d’un défaut de réponse ou d’une contradiction interne relève pleinement de l’article 593.

La décision souligne, en outre, que l’analyse doit intégrer la gravité de l’infraction et les éléments relatifs à la personne morale concernée. En l’absence d’une telle démonstration, et en présence d’une base chiffrée inexacte, « la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision ». La cassation s’impose alors, comme l’énonce la Cour, « La cassation est par conséquent encourue de ce chef ».

Cette rigueur s’inscrit dans une logique de garantie des droits patrimoniaux, tout en maintenant l’effectivité des investigations. L’exigence de motivation n’est pas un formalisme, elle constitue la condition d’un contrôle réel de proportionnalité.

B. Conséquences pour la pratique des saisies et la continuité d’activité

La solution commande une vigilance accrue dans la collecte et la vérification des données financières utilisées pour apprécier la proportionnalité. Les juridictions doivent fonder leur décision sur des éléments exacts, actuels et pertinents, afin d’éviter un déséquilibre artificiel entre les impératifs de l’enquête et la protection du patrimoine.

Elle implique également de préciser les facteurs relatifs à la nature et à la gravité des infractions, ainsi que les caractéristiques de l’auteur, personne morale comprise. Le calibrage de la saisie doit préserver, lorsque cela est possible et nécessaire, la continuité d’activité, mais sur la base d’une évaluation financière rigoureuse et vérifiée.

Le renvoi devant la cour d’appel de Montpellier ouvre la voie à une réévaluation complète, intégrant l’ensemble des critères posés. Cette décision incite, plus largement, à une motivation renforcée des saisies de patrimoine, proportionnée, circonstanciée et fidèle aux pièces.

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