Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 9 juillet 2025, n°25-83.184

La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 9 juillet 2025, statue sur une question prioritaire de constitutionnalité soulevée dans le cadre d’un contentieux relatif à la détention provisoire. Cette décision s’inscrit dans le débat récurrent portant sur l’articulation entre le principe de spécialité en matière d’extradition et les garanties procédurales offertes aux personnes remises.

Un individu fait l’objet d’une information judiciaire des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment aggravés. Placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention, il interjette appel de cette décision. La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Rennes, par arrêt du 11 avril 2025, confirme l’ordonnance de placement en détention. L’intéressé forme alors un pourvoi en cassation et dépose, par mémoire spécial reçu le 26 mai 2025, une question prioritaire de constitutionnalité.

Le demandeur au pourvoi soutient que les dispositions applicables au contrôle du principe de spécialité par le juge des libertés et de la détention méconnaissent la liberté individuelle protégée par l’article 66 de la Constitution ainsi que le droit à la sûreté consacré aux articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il reproche au dispositif législatif de ne pas permettre au premier juge d’effectuer les vérifications nécessaires quant au respect du principe de spécialité.

La question posée à la Cour de cassation est la suivante : les dispositions régissant le contrôle du principe de spécialité devant le juge des libertés et de la détention portent-elles atteinte aux exigences constitutionnelles de protection de la liberté individuelle et du droit à la sûreté ?

La Cour de cassation refuse de transmettre la question au Conseil constitutionnel. Elle juge que la question ne présente pas un caractère sérieux. Elle relève que « dans le cas où le juge des libertés et de la détention est saisi d’un grief de violation du principe de spécialité présenté par la personne remise dont le placement en détention provisoire est demandé, le pouvoir de la chambre de l’instruction de vérifier la réalité dudit grief, au besoin en ordonnant toute mesure utile en application de l’article 194 du code de procédure pénale, procède, non de l’impossibilité dans laquelle se serait trouvé le premier juge d’opérer lui-même de telles vérifications mais, quels que soient les motifs par lesquels ce dernier a écarté ce grief, de l’effet dévolutif de l’appel ».

Cette décision invite à examiner successivement la portée du contrôle juridictionnel du principe de spécialité en matière de détention provisoire (I), puis la conformité de ce mécanisme aux exigences constitutionnelles de protection de la liberté (II).

I. Le contrôle juridictionnel du principe de spécialité en matière de détention provisoire

Le mécanisme de contrôle du principe de spécialité repose sur une architecture à deux niveaux. Le juge des libertés et de la détention intervient en première ligne (A), tandis que la chambre de l’instruction exerce un contrôle de pleine juridiction en appel (B).

A. La compétence initiale du juge des libertés et de la détention

Le juge des libertés et de la détention constitue le premier rempart contre les atteintes injustifiées à la liberté individuelle dans le cadre de la procédure pénale. Lorsqu’une personne remise en exécution d’un mandat d’arrêt européen ou d’une procédure d’extradition invoque une violation du principe de spécialité, ce magistrat doit examiner ce grief.

Le principe de spécialité interdit de poursuivre ou de détenir une personne pour des faits autres que ceux ayant motivé sa remise. Ce principe fondamental du droit de l’extradition trouve son origine dans le respect de la souveraineté de l’État requis. La personne remise ne saurait être jugée pour des infractions non couvertes par la décision de remise sans l’accord préalable de cet État.

La Cour de cassation reconnaît implicitement que le juge des libertés et de la détention peut être confronté à des difficultés dans l’appréciation de ce grief. La complexité des procédures internationales et la technicité du principe de spécialité peuvent rendre l’examen délicat au stade du premier degré. Le demandeur au pourvoi fondait précisément son argumentation sur cette prétendue impossibilité du premier juge à effectuer les vérifications nécessaires.

La haute juridiction écarte cependant cette lecture. Elle affirme que les pouvoirs de la chambre de l’instruction ne découlent pas d’une lacune dans les prérogatives du juge des libertés et de la détention. Cette précision revêt une importance considérable car elle préserve l’intégrité du contrôle de première instance.

B. L’effet dévolutif de l’appel devant la chambre de l’instruction

La chambre de l’instruction dispose de pouvoirs étendus pour examiner le grief tiré de la violation du principe de spécialité. La Cour de cassation souligne qu’elle peut « vérifier la réalité dudit grief, au besoin en ordonnant toute mesure utile en application de l’article 194 du code de procédure pénale ».

L’article 194 du code de procédure pénale confère à la chambre de l’instruction des prérogatives d’investigation larges. Elle peut ordonner tout acte d’information complémentaire qu’elle estime utile à la manifestation de la vérité. Dans le contexte du contrôle du principe de spécialité, cette disposition permet de solliciter des autorités étrangères les précisions nécessaires sur le périmètre exact de la remise.

La Cour de cassation rattache expressément ce pouvoir de vérification à l’effet dévolutif de l’appel. Cette qualification emporte des conséquences juridiques précises. L’effet dévolutif implique que la chambre de l’instruction est saisie de l’entier litige dans les limites de l’appel. Elle réexamine l’affaire en fait et en droit, sans être liée par les motifs retenus par le premier juge.

La formule employée par la Cour est remarquable : « quels que soient les motifs par lesquels ce dernier a écarté ce grief ». Cette précision indique que la chambre de l’instruction exerce un contrôle autonome. Elle n’est pas tenue par le raisonnement du juge des libertés et de la détention, même si celui-ci a correctement statué. Cette indépendance du second degré de juridiction garantit l’effectivité du contrôle.

II. La conformité du mécanisme aux exigences constitutionnelles

Le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité repose sur l’appréciation du caractère sérieux du grief constitutionnel. La Cour examine la conformité du dispositif tant au regard de la liberté individuelle (A) que du droit à la sûreté (B).

A. Le respect de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution

L’article 66 de la Constitution confie à l’autorité judiciaire la mission de gardienne de la liberté individuelle. Cette disposition impose que toute privation de liberté soit soumise à un contrôle juridictionnel effectif. Le Conseil constitutionnel a déduit de ce texte l’exigence d’une intervention rapide du juge judiciaire en cas de détention.

Le demandeur au pourvoi soutenait que le mécanisme de contrôle du principe de spécialité ne satisfaisait pas à ces exigences. Son argumentation reposait sur l’idée que le juge des libertés et de la détention ne disposait pas des moyens nécessaires pour exercer un contrôle effectif. La personne remise se trouvait ainsi privée d’un véritable recours au premier degré.

La Cour de cassation rejette cette analyse en démontrant la complétude du dispositif de contrôle. Le système français offre deux niveaux de juridiction successifs, chacun disposant de prérogatives propres. Le juge des libertés et de la détention examine le grief en première instance. La chambre de l’instruction peut ensuite, le cas échéant, approfondir les vérifications.

Cette architecture satisfait aux exigences de l’article 66. Le juge judiciaire intervient dès le placement en détention provisoire. La personne mise en cause peut soulever le grief de violation du principe de spécialité devant ce magistrat. En cas de rejet, elle dispose d’une voie de recours devant la chambre de l’instruction. L’effectivité du contrôle juridictionnel est ainsi préservée à chaque étape de la procédure.

B. La garantie du droit à la sûreté issu de la Déclaration de 1789

Les articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacrent le droit à la sûreté. Ce droit fondamental protège les individus contre les détentions arbitraires. Il implique que nul ne peut être arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites.

Le principe de spécialité participe directement de cette garantie dans le contexte des procédures de remise internationale. Il assure que la personne extradée ou remise ne sera détenue que pour les faits couverts par la décision de l’État requis. Toute extension du périmètre de la détention constituerait une atteinte au droit à la sûreté.

La Cour de cassation considère que « la disposition critiquée, telle qu’interprétée par la Cour de cassation, ne méconnaît ni la liberté individuelle protégée par l’article 66 de la Constitution ni le droit à la sûreté ». Cette formulation mérite attention. Elle indique que c’est l’interprétation jurisprudentielle du texte qui assure sa conformité constitutionnelle.

Cette technique d’interprétation conforme permet de préserver la constitutionnalité de dispositions dont la lettre pourrait paraître insuffisante. La Cour de cassation endosse ainsi un rôle de garant de la Constitution dans l’application quotidienne du droit. Elle façonne le sens des textes pour les rendre compatibles avec les exigences fondamentales.

L’arrêt du 9 juillet 2025 s’inscrit dans la jurisprudence constante relative au filtrage des questions prioritaires de constitutionnalité. Le défaut de caractère sérieux constitue l’un des motifs de non-transmission prévus par l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958. La Cour de cassation exerce ici pleinement son office de juge du filtre en appréciant la pertinence de la critique constitutionnelle au regard de l’état du droit positif.

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Hassan KOHEN
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