Chambre sociale de la Cour de cassation, le 25 juin 2025, n°23-17.267

La chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt du 25 juin 2025, statue sur la question de l’assiette de calcul des dommages-intérêts pour licenciement nul lorsque le salarié perçoit une rémunération de sources multiples.

Une enseignante, agent contractuel de l’État, avait été mise à disposition d’un institut de formation de l’enseignement privé à compter du 1er septembre 2001 pour y exercer des missions à temps partiel. Par avenant du 1er septembre 2016, elle fut engagée par cet institut à temps complet en qualité de directrice adjointe et formatrice. Sa rémunération mensuelle brute s’élevait alors à 5 151,72 euros, dont 2 924,52 euros versés par le rectorat et le solde par l’institut employeur. Licenciée pour motif économique le 10 août 2017, elle saisit la juridiction prud’homale le 9 février 2018, invoquant un harcèlement moral et sollicitant la nullité de son licenciement ainsi que diverses indemnités.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par arrêt du 14 avril 2023, fit droit à ses demandes et calcula les dommages-intérêts sur la base du salaire total perçu. L’institut forma un pourvoi en cassation, contestant notamment cette assiette de calcul au motif qu’une partie de la rémunération était versée par le rectorat et non par lui.

La question posée à la Cour de cassation était la suivante : les dommages-intérêts pour licenciement nul doivent-ils être calculés sur la seule fraction du salaire versée par l’employeur ou sur l’intégralité de la rémunération perçue par le salarié, y compris la part provenant d’un tiers ?

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle approuve la cour d’appel d’avoir retenu « que les dommages-intérêts pour licenciement nul dus à la salariée devaient être calculés sur la base du salaire total perçu par celle-ci, soit 5 151,72 euros, peu important qu’une partie de cette rémunération ait été versée par le rectorat ».

Cette solution consacre une conception unitaire de la rémunération servant d’assiette au calcul de l’indemnisation du licenciement nul (I), tout en soulevant des interrogations quant à ses implications pour les situations de pluralité de financeurs (II).

I. La consécration d’une assiette indemnitaire fondée sur la rémunération globale

La Cour de cassation affirme sans équivoque que l’indemnisation doit refléter la totalité des revenus professionnels du salarié (A), ce qui traduit une approche finaliste de la réparation du préjudice né de la rupture (B).

A. L’indifférence à l’origine des fonds composant la rémunération

La solution retenue par la Cour de cassation se caractérise par sa netteté. L’expression « peu important qu’une partie de cette rémunération ait été versée par le rectorat » exclut toute distinction selon la provenance des sommes perçues par le salarié. Cette position rompt avec une lecture strictement contractuelle qui aurait pu conduire à ne retenir que les sommes effectivement décaissées par l’employeur défendeur à l’action.

Le raisonnement de la Cour s’appuie sur la notion de salaire total perçu. Cette formulation renvoie à la réalité économique de la situation du salarié plutôt qu’aux modalités techniques de versement de sa rémunération. La mise à disposition par l’État auprès d’un organisme privé crée une situation hybride dans laquelle le salarié demeure rémunéré partiellement par son administration d’origine. La Cour refuse d’en tirer des conséquences défavorables au salarié.

Cette approche s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence relative à l’assiette des indemnités de rupture. La chambre sociale retient habituellement une conception large du salaire de référence, intégrant les éléments fixes et variables, les primes et avantages en nature. L’arrêt du 25 juin 2025 étend cette logique aux situations de rémunération à sources multiples.

B. Une réparation intégrale du préjudice professionnel

Le fondement de cette solution réside dans le principe de réparation intégrale du préjudice. Le licenciement nul prive le salarié de l’ensemble de ses revenus professionnels, quelle que soit leur origine. Limiter l’indemnisation à la seule part versée par l’employeur reviendrait à sous-évaluer le préjudice réellement subi.

La nullité du licenciement, prononcée en l’espèce pour harcèlement moral, emporte des conséquences indemnitaires renforcées. L’article L. 1235-3-1 du code du travail prévoit que le salarié dont le licenciement est nul peut prétendre à une indemnité au moins égale à six mois de salaire. Le plafonnement issu des ordonnances de 2017 ne s’applique pas à cette hypothèse. Dès lors, la détermination de l’assiette revêt une importance considérable.

La Cour de cassation privilégie une lecture protectrice. Le salarié mis à disposition tire de sa situation un niveau de rémunération global qu’il perd du fait de la rupture. Son préjudice correspond à cette perte totale, non à la seule fraction assumée par celui qui prononce le licenciement.

II. Les implications de la solution pour les montages impliquant une pluralité de financeurs

L’arrêt soulève la question des répercussions financières pour l’employeur condamné (A) et invite à s’interroger sur la cohérence du régime applicable aux situations de mise à disposition (B).

A. La charge indemnitaire intégralement supportée par l’employeur

La solution retenue fait peser sur l’institut la totalité de l’indemnisation, calculée sur une rémunération dont il ne versait qu’une partie. Cette conséquence peut sembler rigoureuse. L’employeur se trouve condamné à indemniser un préjudice dont la mesure intègre des sommes qu’il n’a jamais déboursées.

Cette rigueur trouve néanmoins sa justification dans le droit du licenciement. L’employeur qui prononce la rupture assume seul la responsabilité de ses conséquences. La mise à disposition ne crée pas de coemployoi avec l’administration d’origine. Seul l’institut avait qualité pour licencier la salariée et seul il répond des suites de ce licenciement déclaré nul.

L’absence de tout recours subrogatoire ou contributif contre le rectorat renforce cette charge exclusive. Le mécanisme de mise à disposition organisé par les textes propres à l’enseignement privé ne prévoit pas de solidarité indemnitaire entre l’État et l’organisme d’accueil. L’employeur d’accueil supporte donc un risque proportionné à la rémunération globale du salarié, alors même qu’il n’en maîtrise pas tous les paramètres.

B. Une incitation à la clarification des situations de mise à disposition

L’arrêt du 25 juin 2025 invite les employeurs accueillant des personnels mis à disposition à mesurer pleinement les conséquences de cette configuration. Le montant des dommages-intérêts potentiels dépasse la part de rémunération qu’ils assument directement. Cette réalité doit être intégrée dans l’évaluation du risque contentieux.

La solution pourrait également inciter à une formalisation plus précise des conventions de mise à disposition. L’insertion de clauses de garantie ou de contribution entre l’organisme d’origine et l’organisme d’accueil permettrait de répartir la charge indemnitaire en cas de contentieux. En l’absence de telles stipulations, l’employeur d’accueil demeure seul exposé.

Sur un plan plus général, l’arrêt confirme que la pluralité des sources de financement de la rémunération ne modifie pas les règles du droit du travail applicables à la rupture. Le salarié conserve le bénéfice d’une indemnisation calculée sur sa situation réelle. Cette approche préserve l’effectivité de la protection contre le licenciement nul, objectif que la Cour de cassation place au premier rang de ses préoccupations.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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