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La convention de forfait en jours, instrument de flexibilité pour les cadres autonomes, soulève des difficultés contentieuses récurrentes lorsque sa validité est contestée. La Cour de cassation, par un arrêt de sa chambre sociale rendu le 25 juin 2025, apporte des précisions importantes sur le régime de la prescription applicable aux actions qui en découlent.
Un salarié avait été engagé le 22 septembre 2010 en qualité de responsable du service expédition, avec la qualification de cadre. Un avenant du 25 mars 2013 l’avait soumis à une convention de forfait en jours. Après avoir fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de deux jours le 3 juin 2013, il avait été licencié le 18 novembre 2013.
Le salarié avait saisi le conseil de prud’hommes le 18 février 2016 pour contester la sanction disciplinaire et son licenciement, sollicitant diverses sommes au titre de l’exécution du contrat de travail. Par des écritures déposées le 29 janvier 2018, il avait formé pour la première fois une demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, fondée sur la nullité de la convention de forfait en jours, ainsi qu’une demande d’indemnité pour non-respect des droits au repos compensateur obligatoire.
La cour d’appel de Colmar, par un arrêt du 16 mai 2023, avait déclaré irrecevable l’action en contestation de la convention de forfait en jours et en paiement d’heures supplémentaires, considérant que la prescription était acquise, la demande ayant été formée pour la première fois le 29 janvier 2018, soit plus de trois ans après l’expiration de la période de préavis intervenue mi-février 2014.
Le salarié avait formé un pourvoi en cassation. Il soutenait que la saisine du conseil de prud’hommes interrompt la prescription à l’égard de toutes les demandes du salarié relatives au même contrat de travail. Il faisait valoir que la prescription avait été interrompue par la saisine du 18 février 2016, peu important que la demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires ait été présentée ultérieurement.
La question posée à la Cour de cassation était double. Il s’agissait de déterminer si la saisine initiale du conseil de prud’hommes interrompt la prescription pour des demandes formées ultérieurement et relatives au même contrat de travail. Il convenait également de préciser le régime de prescription applicable à la demande d’indemnité pour non-respect des droits au repos compensateur obligatoire.
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt. Elle accueille le moyen relatif à l’effet interruptif de la saisine prud’homale sur la prescription des demandes d’heures supplémentaires. Elle rejette en revanche le pourvoi concernant l’indemnité pour non-respect des droits au repos compensateur, en substituant un motif de pur droit. Elle juge que cette action, qui a la nature de dommages-intérêts, relève de la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail et non de la prescription triennale des créances salariales.
Cet arrêt présente un intérêt majeur en ce qu’il articule deux questions distinctes mais liées : l’effet interruptif de prescription attaché à la saisine prud’homale (I) et la qualification de l’indemnité pour non-respect du repos compensateur obligatoire aux fins de détermination du délai de prescription applicable (II).
I. L’effet interruptif de prescription attaché à la saisine prud’homale
La Cour de cassation consacre une conception extensive de l’effet interruptif de la saisine du conseil de prud’hommes (A), ce qui emporte des conséquences pratiques significatives pour les salariés contestant une convention de forfait en jours (B).
A. La consécration d’une conception extensive de l’interruption de la prescription
Le salarié soutenait que « la saisine du conseil de prud’hommes interrompt la prescription à l’égard de toutes les demandes du salarié relatives au même contrat de travail ». La cour d’appel de Colmar avait retenu une conception restrictive en considérant que seule la date de formulation de la demande spécifique d’heures supplémentaires, le 29 janvier 2018, devait être prise en compte pour apprécier la prescription.
La Cour de cassation censure cette analyse. Elle admet implicitement que la saisine initiale du 18 février 2016 a interrompu la prescription pour l’ensemble des demandes relatives au contrat de travail, y compris celles formées ultérieurement. Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence établie selon laquelle l’interruption de la prescription s’étend à toutes les demandes procédant du même contrat.
Cette interprétation trouve son fondement dans l’unicité de l’instance prud’homale. Le principe selon lequel toutes les demandes dérivant du contrat de travail doivent être formées dans une même instance justifie que l’effet interruptif bénéficie à l’ensemble de ces demandes. Il serait contradictoire d’imposer au salarié de concentrer ses prétentions tout en lui opposant la prescription pour celles qu’il formule en cours d’instance.
B. Les implications pour la contestation des conventions de forfait en jours
La cassation prononcée sur ce point ouvre au salarié la possibilité de faire examiner au fond sa demande de rappel d’heures supplémentaires fondée sur la nullité de la convention de forfait en jours. La cour d’appel de renvoi, désignée comme étant celle de Metz, devra statuer sur cette prétention.
L’enjeu est considérable. La nullité d’une convention de forfait en jours permet au salarié de prétendre au paiement des heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale. En l’espèce, le salarié sollicitait des rappels pour la période 2010 à 2013. La prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail, interrompue par la saisine du 18 février 2016, permet de remonter trois ans en arrière à compter de cette date, soit jusqu’au 18 février 2013.
Cette solution protège les droits des salariés qui, découvrant tardivement l’irrégularité de leur convention de forfait, peuvent former des demandes additionnelles en cours d’instance sans se voir opposer la prescription. Elle incite toutefois les employeurs à une vigilance accrue dans la rédaction et le suivi des conventions de forfait en jours.
II. La qualification de l’indemnité pour non-respect du repos compensateur obligatoire
La Cour de cassation procède à une substitution de motifs pour justifier le rejet de la demande d’indemnité pour non-respect des droits au repos compensateur (A). Cette requalification emporte l’application d’un régime de prescription distinct de celui des créances salariales (B).
A. La substitution d’un motif de pur droit fondée sur la nature indemnitaire de la créance
La Cour de cassation énonce que « la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement d’une indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos non prise en raison d’un manquement de l’employeur à son obligation d’information du salarié sur le nombre d’heures de repos compensateur portées à son crédit, qui a la nature de dommages-intérêts et porte sur l’exécution du contrat de travail, relève de la prescription biennale prévue à l’article L. 1471-1 du code du travail ».
Cette motivation opère une distinction fondamentale entre deux types de créances. Le rappel d’heures supplémentaires constitue une créance salariale soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1. L’indemnité pour non-respect du repos compensateur obligatoire, en revanche, « a la nature de dommages-intérêts » et relève de la prescription biennale applicable aux actions portant sur l’exécution du contrat de travail.
La qualification retenue se justifie par l’objet de la demande. Le salarié ne réclame pas le paiement d’un repos qu’il aurait dû prendre, mais la réparation du préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation d’information. Cette obligation, prévue par l’article D. 3171-11 du code du travail, impose à l’employeur d’informer le salarié du nombre d’heures de repos compensateur portées à son crédit par un document annexé au bulletin de paie.
B. L’application de la prescription biennale et son point de départ
La Cour de cassation précise que cette action « a pour point de départ le jour où le salarié a eu connaissance de ses droits et, au plus tard, celui de la rupture du contrat de travail ». Le salarié ayant été licencié le 18 novembre 2013 et n’ayant saisi la juridiction prud’homale que le 18 février 2016, soit plus de deux ans après, sa demande était prescrite.
Cette solution appelle plusieurs observations. Le point de départ glissant, fixé au jour de la connaissance des droits, aurait pu bénéficier au salarié si celui-ci avait démontré n’avoir découvert que tardivement le manquement de l’employeur à son obligation d’information. La Cour retient cependant une date butoir : « au plus tard, celui de la rupture du contrat de travail ». Cette limite objective sécurise les relations post-contractuelles en empêchant des actions tardives fondées sur une prétendue ignorance prolongée.
La différence de régime entre les deux demandes est significative. Pour les heures supplémentaires, la saisine prud’homale interrompt la prescription et permet des demandes additionnelles. Pour l’indemnité de repos compensateur, la prescription biennale court indépendamment et n’est pas interrompue par une saisine portant sur d’autres chefs de demande. Cette distinction invite les salariés à formuler dès l’origine l’ensemble de leurs prétentions, y compris celles de nature indemnitaire, afin de préserver leurs droits.