Conseil constitutionnel, Décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001

Le Conseil constitutionnel, par sa décision du 27 novembre 2001, s’est prononcé sur la conformité d’une loi réformant la protection sociale des non-salariés agricoles. Cette réforme substitue un régime obligatoire de sécurité sociale au système d’assurances privées qui régissait jusqu’alors l’indemnisation des accidents du travail dans ce secteur. Des membres du Parlement ont contesté la régularité de la procédure législative ainsi que le fond du dispositif au regard de plusieurs libertés économiques. Le litige portait notamment sur d’éventuelles atteintes à la liberté d’entreprendre, au droit de propriété et à la liberté contractuelle des divers organismes d’assurances. Les juges ont également examiné la répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire ainsi que l’organisation du contentieux juridictionnel unifié.

La question centrale consistait à déterminer si le législateur pouvait légalement évincer les acteurs privés au profit d’un organisme de sécurité sociale de nature publique. Le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel du texte mais a censuré la disposition unifiant indûment le contentieux au sein des seules juridictions sociales. Cette analyse portera d’abord sur la validité de la transformation du régime de protection avant d’étudier la préservation nécessaire de la séparation des compétences juridictionnelles.

I. La légitimité constitutionnelle de l’instauration d’un nouveau régime de protection sociale

A. La conciliation entre les libertés économiques et les objectifs de solidarité nationale

Le juge constitutionnel considère que la création d’une nouvelle branche de sécurité sociale répond aux exigences du Préambule de la Constitution de 1946. La collectivité doit garantir à tous la protection de la santé ainsi que la sécurité matérielle nécessaire au développement de l’individu et de sa famille. Le législateur peut apporter des limitations à la liberté d’entreprendre si elles sont justifiées par l’intérêt général et ne présentent pas de caractère disproportionné. En l’espèce, l’amélioration de la couverture des risques professionnels des agriculteurs constitue un motif d’intérêt général suffisant pour justifier l’éviction partielle du secteur concurrentiel.

L’argument relatif à la violation du droit de propriété est également écarté car la loi n’entraîne aucune dépossession réelle des entreprises d’assurances concernées par la réforme. Le Conseil affirme que « cette substitution, qui ne s’accompagne d’aucune dépossession, ne peut être regardée comme une privation de propriété au sens de l’article 17 ». La clientèle ne constitue pas, dans cette configuration juridique précise, un bien protégé contre les modifications législatives touchant à l’organisation d’un service public. La liberté contractuelle n’est pas davantage méconnue puisque la résiliation des contrats en cours est jugée inhérente aux modifications globales du régime de protection sociale.

B. La délimitation du domaine de la loi en matière de sécurité sociale

Les requérants soutenaient que le législateur avait méconnu sa propre compétence en déléguant des éléments essentiels du régime au pouvoir réglementaire de l’autorité administrative. L’article 34 de la Constitution dispose pourtant que la loi détermine seulement les principes fondamentaux de la sécurité sociale, laissant les modalités d’application au Gouvernement. Le Conseil précise qu’il appartient au législateur de fixer l’organisation, le champ d’application, l’assiette des cotisations ainsi que les catégories de prestations du régime. Les mesures de portée limitée, telles que la fixation précise du montant des cotisations, ressortissent en revanche légitimement à la compétence du pouvoir réglementaire.

Le grief tiré d’une délégation excessive du pouvoir réglementaire aux organismes de mutualité sociale agricole est rejeté car ces derniers n’exercent qu’une fonction de coordination. Le ministre chargé de l’agriculture ne reçoit quant à lui que des habilitations encadrées pour prendre des mesures d’exécution dont le champ d’application reste strictement circonscrit. Cette répartition respecte l’article 21 de la Constitution qui confie le pouvoir réglementaire au Premier ministre sous réserve des délégations ministérielles autorisées par le texte. Le législateur n’a donc pas entaché sa décision d’une incompétence négative en renvoyant à des décrets le soin de préciser l’application de la réforme.

II. La sanction du décloisonnement des compétences juridictionnelles

A. L’affirmation du principe de séparation des autorités administrative et judiciaire

Le Conseil constitutionnel censure l’article de la loi qui attribuait aux juridictions de sécurité sociale la compétence exclusive pour tous les litiges relatifs au nouveau régime. Cette disposition méconnaît la conception française de la séparation des pouvoirs qui protège la compétence de la juridiction administrative pour l’annulation des actes de puissance publique. Le juge rappelle que relève en dernier ressort du juge administratif « l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique ». Cette règle constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui s’impose au législateur lors de la rédaction des lois.

Le législateur peut certes unifier des règles de compétence dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice mais cette dérogation doit rester strictement justifiée et proportionnée. Les arrêtés ministériels délivrant ou retirant une autorisation à une entreprise d’assurances constituent des actes administratifs détachables des relations privées entre les exploitants et les organismes. La bonne administration de la justice ne justifie pas en l’espèce de déroger à la répartition normale des compétences entre les deux ordres de juridiction. L’article L. 752-27 du code rural est ainsi déclaré contraire à la Constitution car il portait une atteinte excessive au dualisme juridictionnel français.

B. Le maintien de l’exigence de recours juridictionnels effectifs

Le droit au recours effectif découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon l’interprétation constante du juge. Les requérants craignaient que certaines décisions, notamment le classement des exploitations dans des catégories de risques, ne soient pas susceptibles d’une contestation judiciaire suffisante devant les cours. Le Conseil constitutionnel écarte ce grief en soulignant que les décisions d’affiliation d’office pourront faire l’objet d’un recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Le classement des risques peut également être contesté par les chefs d’exploitation devant la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance.

Le respect des droits de la défense n’impose pas une procédure contradictoire systématique pour toutes les décisions administratives dès lors qu’elles ne présentent pas le caractère d’une sanction. Les mesures d’affiliation ou de retrait d’autorisation sont analysées comme des actes de gestion du service public et non comme des punitions à caractère juridictionnel. Le juge constitutionnel s’assure ainsi que les justiciables conservent des garanties suffisantes pour protéger leurs intérêts sans pour autant paralyser l’action de l’administration sociale. Cette décision maintient un équilibre délicat entre l’efficacité du nouveau service public et la protection des droits fondamentaux des acteurs économiques et sociaux.

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Hassan KOHEN
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