Le Conseil constitutionnel a rendu, le 2 mars 2004, la décision n° 2004-492 DC concernant la loi d’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Ce texte législatif visait à doter l’autorité judiciaire de moyens techniques et procéduraux renforcés pour lutter contre la délinquance organisée et le terrorisme. Des parlementaires ont saisi la juridiction pour contester la constitutionnalité de plusieurs articles relatifs à la garde à vue, aux perquisitions et aux modes de jugement. Les requérants invoquaient notamment des atteintes manifestes à la liberté individuelle, au respect de la vie privée et aux droits fondamentaux de la défense. Le problème juridique posé résidait dans l’équilibre entre la sauvegarde de l’ordre public et la protection des libertés constitutionnellement garanties par la Déclaration de 1789. Les juges valident la majorité des mesures dérogatoires sous réserve d’un contrôle judiciaire effectif, mais censurent l’absence de publicité des débats lors de certaines procédures. L’analyse portera sur l’encadrement des techniques d’enquête exceptionnelles avant d’aborder la mutation des modes de jugement et les exigences de transparence constitutionnelle.
I. Un encadrement rigoureux des techniques d’enquête exceptionnelles
A. La validation de procédures dérogatoires proportionnées à la criminalité organisée
Le Conseil admet que le législateur puisse prévoir des mesures d’investigation spéciales pour constater des crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières. Ces mesures sont admises « sous réserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle ». La juridiction précise que les restrictions apportées aux droits constitutionnels doivent être strictement proportionnées à la manifestation de la vérité lors des enquêtes. L’expression de « bande organisée » est jugée suffisamment claire et précise pour respecter le principe de légalité des délits et des peines. Cette notion se distingue ainsi des simples concepts de réunion ou de coaction par l’existence d’un groupement ou d’une entente préalablement établie.
L’extension de la durée maximale de la garde à vue à quatre-vingt-seize heures pour certaines infractions graves ne constitue pas une atteinte excessive. Cette mesure est subordonnée à une décision écrite et motivée d’un magistrat du siège, garantissant ainsi l’absence d’arbitraire dans la privation de liberté. Les juges considèrent que la complexité des réseaux criminels justifie ces investigations prolongées dès lors que des garanties médicales et judiciaires sont effectivement assurées. Le report de l’intervention de l’avocat est validé car il ne met pas en cause le principe des droits de la défense mais en modifie seulement les modalités. Le procureur doit néanmoins contrôler immédiatement la qualification des faits justifiant ce report afin d’éviter tout détournement de procédure par les enquêteurs.
B. La préservation de la liberté individuelle par le contrôle systématique du juge
Les perquisitions nocturnes sont autorisées par le Conseil à la condition que l’autorisation émane du juge des libertés et de la détention de manière motivée. Le législateur n’a pas porté à l’inviolabilité du domicile une atteinte non nécessaire à la recherche des auteurs d’infractions graves et complexes. Ces opérations restent placées sous le contrôle permanent du magistrat mandant qui peut se déplacer sur les lieux pour veiller au respect des formes légales. Les perquisitions en enquête préliminaire sans l’assentiment de l’occupant sont également validées car elles nécessitent l’autorisation préalable d’un juge du siège indépendant. Cette garantie juridictionnelle protège les citoyens contre les intrusions injustifiées tout en permettant l’efficacité nécessaire aux investigations judiciaires portant sur des crimes majeurs.
L’interception de correspondances et les techniques de sonorisation sont admises car elles sont limitées dans le temps et soumises à une autorisation judiciaire écrite. Le Conseil exige que « les séquences de la vie privée étrangères aux infractions en cause ne puissent en aucun cas être conservées » dans le dossier. Cette réserve d’interprétation protège le secret de la vie privée contre une captation excessive de données sans rapport direct avec la manifestation de la vérité. L’autorité judiciaire doit demeurer la gardienne vigilante des libertés en vérifiant la nécessité de chaque mesure technique mise en œuvre par la police. Ces principes assurent une protection réelle des individus face à l’accroissement des pouvoirs d’enquête technologique accordés aux services de l’État pour lutter contre l’insécurité.
II. Une mutation des modes de jugement soumise au respect des garanties fondamentales
A. La validation encadrée de la reconnaissance préalable de culpabilité
Le Conseil valide la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité car elle ne méconnaît pas le droit des prévenus à un procès équitable. Le juge du siège n’est jamais lié par la proposition du procureur et doit vérifier que l’intéressé a reconnu librement et sincèrement les faits. « Ni cette disposition ni aucune autre de la Constitution n’interdit à une personne de reconnaître librement sa culpabilité » en présence obligatoire de son avocat. L’homologation par le président du tribunal constitue une décision juridictionnelle garantissant la séparation entre les autorités de poursuite et celles de jugement effectif. Le magistrat doit s’assurer que la peine proposée est parfaitement justifiée au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.
Le respect des droits de la défense est garanti par la faculté pour l’intéressé de demander un délai de réflexion de dix jours. L’avocat dispose d’un accès immédiat au dossier et peut communiquer librement avec son client avant toute acceptation de la peine proposée par le parquet. Cette nouvelle modalité de jugement n’instaure pas de présomption de culpabilité puisque le juge conserve son pouvoir d’appréciation sur la réalité des faits reprochés. En cas de refus d’homologation, les déclarations faites durant la procédure ne peuvent être utilisées contre la personne devant une juridiction de jugement ordinaire. Ces protections évitent que la recherche de célérité judiciaire ne se traduise par un affaiblissement du droit fondamental à une défense pleine et entière.
B. La sanction de l’opacité et de l’atteinte au droit aux nullités
La juridiction censure les mots « en chambre du conseil » car le jugement d’une affaire pénale pouvant conduire à une peine privative de liberté doit être public. « L’homologation ou le refus d’homologation par le président du tribunal de grande instance » constitue une décision qui ne peut être rendue dans le secret. Cette exigence de publicité assure la transparence de la justice et permet le contrôle de l’institution par les citoyens conformément aux principes de 1789. Les juges rappellent que le huis clos doit rester une exception justifiée par des circonstances particulières et ne peut être la règle générale. Cette décision renforce la solennité de l’acte de juger même dans le cadre d’une procédure simplifiée reposant sur l’accord des parties.
Le Conseil déclare également contraire à la Constitution l’article exonérant de nullité les actes accomplis si la circonstance de bande organisée n’est finalement pas retenue. L’autorité judiciaire ne saurait autoriser l’utilisation de procédures dérogatoires sans que l’existence de raisons plausibles de soupçonner une telle infraction ne soit vérifiée. Exclure systématiquement la nullité des actes d’enquête aurait permis des détournements de procédure attentatoires aux libertés individuelles sans possibilité de recours effectif pour les justiciables. « L’autorité judiciaire […] ne saurait dès lors autoriser leur utilisation que dans la mesure nécessaire » à la recherche d’infractions dont la gravité est réellement établie. Cette censure protège l’intégrité de la procédure pénale contre l’usage abusif des pouvoirs d’exception initialement prévus pour la seule criminalité organisée.