Par sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a examiné la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Saisi par des députés et des sénateurs, le juge devait se prononcer sur la constitutionnalité de nombreuses dispositions réformant la procédure pénale française. Les auteurs des saisines soutenaient que les nouveaux moyens d’enquête et de jugement portaient une atteinte excessive aux libertés constitutionnellement garanties.
Les critiques visaient particulièrement l’allongement de la garde à vue à quatre-vingt-seize heures et la possibilité d’effectuer des perquisitions de nuit. Les parlementaires contestaient également la création d’un fichier des auteurs d’infractions sexuelles et la nouvelle procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Ils invoquaient la violation de la liberté individuelle, du droit au respect de la vie privée et du principe de la séparation des pouvoirs.
La question posée au Conseil constitutionnel consistait à savoir si les impératifs de lutte contre la criminalité organisée justifiaient des restrictions aux libertés individuelles. Le juge valide la majeure partie de la loi en posant plusieurs réserves d’interprétation mais censure les dispositions limitant le droit au recours. L’analyse de cette décision conduit à étudier l’encadrement des mesures d’enquête dérogatoires avant d’aborder la mutation des procédures de jugement et d’exécution des peines.
I. La conciliation entre efficacité de la lutte contre la criminalité et sauvegarde des libertés individuelles
A. La validation conditionnée des régimes d’enquête dérogatoires
Le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse instaurer des règles spéciales pour les infractions présentant une gravité et une complexité particulières. Il précise toutefois que ces mesures doivent être « proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises » pour rester conformes à la Constitution. L’autorité judiciaire demeure la gardienne de la liberté individuelle et doit assurer le contrôle effectif des mesures attentatoires aux droits fondamentaux. Concernant la garde à vue prolongée, le juge exige que chaque prolongation supplémentaire fasse l’objet d’une « décision écrite et motivée d’un magistrat du siège ». Les perquisitions nocturnes sont également validées à la condition qu’elles soient assorties de garanties procédurales appropriées et placées sous le contrôle d’un juge.
B. La sanction nécessaire de l’immunité procédurale des actes d’investigation
Le juge censure cependant l’article qui interdisait de prononcer la nullité d’un acte si la circonstance de bande organisée n’était finalement pas retenue. Une telle disposition aurait permis de valider des procédures attentatoires aux libertés sans que les soupçons initiaux ne soient justifiés par les faits. Le Conseil affirme que le législateur « ne pouvait exonérer, de façon générale, des actes qui auraient été autorisés en méconnaissance » des exigences constitutionnelles de nécessité. Cette censure protège les justiciables contre d’éventuels détournements de procédure visant à utiliser des moyens d’enquête exceptionnels pour des délits de droit commun. Le droit à un recours effectif impose que la régularité des actes d’investigation puisse être contestée devant une juridiction indépendante et impartiale.
II. La mutation des procédures de jugement et l’affirmation des garanties fondamentales
A. L’encadrement juridictionnel de la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité
La création de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité soulève également des interrogations majeures au regard du principe de la séparation des pouvoirs. Les requérants craignaient que le procureur de la République n’exerce une pression excessive sur les prévenus pour obtenir une reconnaissance de leur culpabilité. Le Conseil constitutionnel estime que le mécanisme ne méconnaît pas la Constitution dès lors que « seul le président du tribunal peut homologuer cette proposition ». Le magistrat du siège doit vérifier la réalité des faits ainsi que le caractère libre et sincère du consentement exprimé par l’intéressé. L’assistance obligatoire d’un avocat garantit le respect des droits de la défense durant toutes les étapes de cette procédure simplifiée de jugement.
B. La réaffirmation de la publicité des débats comme garantie constitutionnelle
Le juge constitutionnel censure par ailleurs l’obligation de tenir l’audience d’homologation de la peine en chambre du conseil pour les délits punis d’emprisonnement. Il rappelle que « le jugement d’une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit… faire l’objet d’une audience publique ». La publicité des débats constitue une garantie essentielle de la justice dans une société démocratique et protège les citoyens contre l’arbitraire. Les autres dispositions relatives à l’exécution des peines et au fichier des délinquants sexuels sont jugées conformes sous réserve du contrôle judiciaire. Cette décision marque ainsi la volonté du Conseil de maintenir un équilibre entre l’efficacité répressive de l’État et la protection des libertés publiques.