Le Conseil constitutionnel a rendu, le 19 novembre 2004, une décision capitale concernant le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Saisi par le Président de la République, le juge constitutionnel devait déterminer si les stipulations de cet engagement international imposaient une révision préalable du texte suprême national. La question centrale portait sur la compatibilité entre l’affirmation d’une « Constitution » européenne et le maintien de la souveraineté nationale au sein de l’ordre juridique interne. Le Conseil constitutionnel a conclu que l’autorisation de ratifier ce traité ne pouvait intervenir qu’après une révision effective de la Constitution française. Cette décision repose sur une distinction subtile entre les principes symboliques du traité et les transferts réels de compétences qu’il organise.
I. La préservation de la souveraineté constitutionnelle par l’interprétation juridique
A. Le maintien de la nature conventionnelle du traité européen
Le juge affirme d’emblée que le traité « conserve le caractère d’un traité international souscrit par les Etats signataires » malgré sa dénomination constitutionnelle. Cette appellation est jugée sans incidence sur l’existence de la Constitution française et sa place au sommet de l’ordre juridique interne selon le Conseil. Le principe de primauté du droit de l’Union demeure fondé sur l’article 88-1 de la Constitution, lequel consacre un ordre juridique communautaire intégré. Les juges soulignent que le texte « ne modifie ni la nature de l’Union européenne, ni la portée du principe de primauté » par rapport aux décisions antérieures. La suprématie de la norme constitutionnelle nationale est ainsi réaffirmée face à l’émergence d’une terminologie européenne potentiellement concurrente dans le discours politique.
B. La conciliation de la Charte des droits fondamentaux avec les principes républicains
L’examen de la Charte des droits fondamentaux permet au Conseil de confirmer la protection des structures fondamentales politiques et constitutionnelles de la France. L’article 1er de la Constitution, consacrant la laïcité, interdit de se prévaloir de croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les rapports sociaux. Le Conseil précise que la Charte « sera interprétée par les juridictions en prenant dûment en considération les explications établies sous l’autorité du præsidium ». Cette lecture guidée assure que les traditions constitutionnelles nationales, notamment le refus de droits collectifs à des groupes spécifiques, demeurent pleinement respectées. La liberté de culte est ainsi conciliée avec le principe de laïcité grâce à une marge d’appréciation laissée aux Etats membres par la jurisprudence.
II. L’exigence de révision constitutionnelle face aux nouveaux transferts de compétences
A. L’affectation des conditions essentielles de la souveraineté par les modalités décisionnelles
Le Conseil identifie plusieurs dispositions modifiant les règles de décision qui privent la France de son pouvoir d’opposition habituel dans des domaines régaliens. La substitution de la majorité qualifiée à l’unanimité au sein du Conseil des ministres constitue une atteinte manifeste aux conditions essentielles de la souveraineté. Les articles relatifs à la coopération judiciaire en matière pénale ou à la création d’un Parquet européen imposent nécessairement une modification constitutionnelle. De même, les « clauses passerelles » permettant de changer le mode de décision sans nouvelle ratification nationale sont jugées contraires aux prérogatives du constituant. Toute modification ultérieure de la règle de l’unanimité doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité pour rester conforme au droit national.
B. L’intégration nécessaire des nouvelles prérogatives reconnues au Parlement national
Le traité soumis à l’examen accroît significativement la participation des parlements nationaux aux activités de l’Union européenne par de nouveaux mécanismes de contrôle. Le droit reconnu au Parlement français de s’opposer à une révision simplifiée rend indispensable une adaptation des dispositions actuelles du texte constitutionnel. La faculté d’émettre un avis motivé sur le principe de subsidiarité ou de former un recours devant la Cour de justice nécessite un fondement explicite. Ces prérogatives nouvelles transforment le rôle des assemblées nationales dans le processus législatif européen et renforcent le contrôle démocratique sur les compétences transférées. En exigeant cette révision, le Conseil constitutionnel garantit que l’exercice de ces droits s’inscrit harmonieusement dans le cadre de la souveraineté nationale.