Le Conseil constitutionnel a rendu, le 29 décembre 2004, une décision capitale portant sur la conformité de la loi de finances pour l’année 2005. Plusieurs membres du Parlement ont saisi la juridiction constitutionnelle afin de contester la sincérité globale du budget ainsi que la validité de nombreuses dispositions fiscales. Les griefs portaient notamment sur le réalisme des prévisions économiques, l’instauration de crédits d’impôt et la présence de cavaliers budgétaires au sein du texte. Le juge devait déterminer si les choix du législateur respectaient les exigences de sincérité, d’égalité devant les charges publiques et les règles organiques. Cette décision précise les contours du contrôle de la sincérité budgétaire avant d’éprouver la validité des incitations fiscales destinées à favoriser l’emploi.
I. La consécration de la sincérité budgétaire et du domaine des lois de finances
A. Une appréciation réaliste de la sincérité des prévisions économiques
Le principe de sincérité, défini par la loi organique relative aux lois de finances, impose une présentation honnête de l’ensemble des ressources et des charges. Le juge constitutionnel rappelle que cette sincérité « se caractérise par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre » budgétaire. Il refuse de sanctionner les prévisions de recettes sauf en cas d’erreur manifeste, reconnaissant ainsi les aléas inhérents aux estimations de la croissance économique. En l’espèce, les évaluations relatives à la taxe intérieure sur les produits pétroliers ne présentaient pas de caractère délibérément trompeur pour le Parlement. La constitution d’une réserve de précaution en début d’exercice ne révèle aucune volonté de sous-évaluer les dépenses nécessaires au fonctionnement des services. Cette souplesse laissée au pouvoir exécutif permet de prévenir une éventuelle détérioration de l’équilibre financier au cours de l’exécution de l’année.
B. L’exclusion nécessaire des dispositions étrangères au domaine financier
Le Conseil constitutionnel veille strictement au respect du domaine réservé des lois de finances en censurant les dispositions dépourvues de caractère financier ou fiscal. L’article 112 de la loi déférée prévoyait la création d’un organisme chargé d’apprécier l’évolution des prélèvements obligatoires et de formuler des recommandations. Or, une telle disposition n’est pas « destinée à organiser l’information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques » au sens organique. Le juge considère que cet article ne concerne ni les ressources, ni les charges de la puissance publique, ce qui justifie sa censure immédiate. Cette pratique permet de limiter l’introduction de réformes structurelles sans lien direct avec l’équilibre budgétaire au sein d’une loi de finances annuelle. La protection de la procédure législative financière demeure essentielle pour garantir la clarté et l’efficacité des débats parlementaires sur le budget national.
II. L’épreuve de l’égalité devant les charges publiques et l’incitation fiscale
A. La légitimité des différenciations fiscales justifiées par l’intérêt général
Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations distinctes pour des motifs d’intérêt général. L’instauration d’un crédit d’impôt pour les entreprises rapatriant leur activité en France est validée car elle vise à favoriser l’emploi et l’investissement national. Le juge estime que l’exclusion des transferts réalisés au sein de l’Espace économique européen découle directement du respect des libertés de circulation communautaires. De même, la majoration de la réduction d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile en fonction des charges de famille poursuit un objectif social légitime. Ces mesures d’incitation fiscale ne constituent pas une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques puisqu’elles reposent sur des critères objectifs. Le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour définir les bénéficiaires d’un avantage fiscal tant qu’il poursuit une finalité d’utilité publique.
B. La sanction de la rupture d’égalité résultant d’un plafonnement arbitraire
Le contrôle de l’égalité devient plus rigoureux lorsque le législateur introduit des seuils ou des plafonds qui créent une différence de traitement injustifiée. L’article 28 prévoyait un crédit de taxe professionnelle pour les entreprises situées dans des zones d’emploi en grande difficulté au regard des délocalisations. Le législateur avait limité à dix le nombre de zones pouvant bénéficier de cette mesure au titre des restructurations industrielles les plus graves. Le Conseil juge qu’un tel plafond pourrait exclure des zones se trouvant dans une situation identique ou plus critique que celles déjà retenues auparavant. Il déclare contraires à la Constitution les mots « dans la limite de dix zones » car ils instaurent une différence de traitement injustifiée. Cette censure garantit que des collectivités territoriales placées dans une situation de détresse économique similaire reçoivent un soutien financier équivalent de l’Etat.