Par une décision rendue le 19 janvier 2006, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi relative à la lutte contre le terrorisme. Plusieurs sénateurs ont saisi la juridiction constitutionnelle afin de contester la validité des articles 6, 8 et 19 de ce texte législatif alors en discussion.
L’article 6 instaurait une procédure de réquisition administrative de données techniques de connexion pour prévenir et réprimer les actes de terrorisme sous le contrôle d’une personnalité qualifiée. L’article 8 autorisait le recours à des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules ainsi que la photographie de leurs occupants. Enfin, l’article 19 modifiait les règles de représentation syndicale au sein des commissions administratives paritaires de la police nationale par le biais d’un amendement parlementaire.
Les auteurs de la saisine soutenaient que ces mesures portaient une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et méconnaissaient le principe de la séparation des pouvoirs. Ils dénonçaient également l’absence de contrôle de l’autorité judiciaire sur des mesures affectant la liberté individuelle et critiquaient la présence de dispositions étrangères à l’objet de la loi.
Le Conseil constitutionnel devait ainsi déterminer si l’attribution de finalités répressives à des autorités administratives et la mise en œuvre de techniques de surveillance automatisée respectaient les exigences constitutionnelles. La juridiction a censuré la finalité répressive des réquisitions administratives et a invalidé l’article 19 pour irrégularité procédurale tout en validant le surplus des dispositifs contestés.
I. La délimitation rigoureuse des prérogatives de police administrative
A. La censure de la finalité répressive extrajudiciaire
Le Conseil constitutionnel rappelle que les réquisitions de données techniques opérées par les services de police relèvent, dans ce texte, de la seule responsabilité du pouvoir exécutif. Il souligne que ces mesures « ne sont pas placées sous la direction ou la surveillance de l’autorité judiciaire, mais relèvent de la seule responsabilité du pouvoir exécutif ». Dès lors, ces dispositions ne peuvent avoir pour unique finalité que la préservation de l’ordre public et la prévention des infractions selon la juridiction.
En mentionnant que ces réquisitions visaient à réprimer les actes de terrorisme, le législateur a méconnu le principe fondamental de la séparation des pouvoirs prévu par la Déclaration. La répression des crimes et délits relève exclusivement de la police judiciaire, laquelle agit sous la direction et le contrôle effectif de l’autorité judiciaire compétente. Les mots « et de réprimer » sont donc déclarés contraires à la Constitution car ils conféraient une compétence indue à une autorité de police purement administrative.
B. La préservation de la mission préventive de l’administration
L’invalidation de la finalité répressive ne remet pas en cause la possibilité pour les services de police d’accéder aux données techniques à des fins de prévention. Le Conseil considère que le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect de la vie privée. Il relève que la procédure est « subordonnée à un accord préalable d’une personnalité désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité ».
Ces garanties procédurales permettent de maintenir l’équilibre nécessaire entre la sauvegarde des droits constitutionnels et les nécessités impérieuses de la lutte contre les réseaux terroristes. L’autorité administrative reste néanmoins tenue d’aviser sans délai le procureur de la République lorsqu’elle acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit durant ses missions. Cette obligation préserve l’articulation indispensable entre les missions de surveillance préventive et l’exercice futur de l’action publique par les magistrats du parquet compétents.
II. L’équilibre entre sécurité publique et libertés constitutionnelles
A. La validation proportionnée du recueil automatisé de données
Concernant le contrôle automatisé des plaques d’immatriculation, le Conseil estime que ce dispositif ne porte pas d’atteinte arbitraire à la liberté d’aller et de venir. Il note que ce système est placé sous le contrôle de l’autorité judiciaire lorsqu’il est utilisé pour faciliter la répression des infractions pénales constatées. À la différence de l’article 6, l’article 8 prévoit explicitement l’intervention du juge, évitant ainsi tout grief tiré d’une méconnaissance de la séparation des pouvoirs.
La juridiction constitutionnelle observe que les enregistrements sont effacés après huit jours, sauf en cas de rapprochement positif avec les fichiers des véhicules volés ou signalés. Elle précise que « les critères de cette recherche seront les caractéristiques des véhicules et non les images des passagers » pour garantir le respect de l’intimité. Ces précautions assurent une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et les libertés individuelles.
B. La sanction de la méthode législative par le grief du lien
Le Conseil constitutionnel censure l’article 19 de la loi déférée en raison de son absence totale de lien avec l’objet initial du projet de loi déposé. Il rappelle que tout amendement doit présenter un lien, même indirect, avec le texte pour être régulièrement adopté au cours de la première lecture parlementaire. L’article 19 concernait la représentation syndicale des fonctionnaires de police, sujet manifestement étranger aux mesures de lutte contre le terrorisme et aux contrôles frontaliers.
Cette disposition constitue ce que la jurisprudence qualifie de cavalier législatif, dont la présence entache la régularité de la procédure législative suivie devant les deux assemblées. La protection de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire impose que les modifications introduites ne dénaturent pas l’économie générale du projet initial. Par cette décision de censure, le Conseil réaffirme son rôle de gardien de la qualité de la loi et de la discipline du travail législatif.