Par sa décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, le Conseil constitutionnel examine la conformité d’une loi renforçant la lutte contre le terrorisme. Plusieurs membres du Sénat contestent notamment les dispositions autorisant la réquisition administrative de données techniques ainsi que le déploiement de dispositifs de contrôle automatisé. Les requérants soutiennent que ces mesures méconnaissent la séparation des pouvoirs, le droit au respect de la vie privée et l’étendue de la liberté individuelle. Ils critiquent également l’introduction de dispositions étrangères à l’objet initial du texte, qualifiées habituellement de cavaliers législatifs par la jurisprudence constitutionnelle française. Le juge doit ainsi déterminer si l’extension des pouvoirs de police administrative respecte la dualité fonctionnelle entre la prévention et la répression des infractions. Il convient également de vérifier si les garanties entourant les nouveaux outils technologiques assurent une conciliation équilibrée entre l’ordre public et les libertés fondamentaux. Le Conseil censure partiellement le texte en rappelant la frontière stricte entre les missions administratives et judiciaires tout en validant les dispositifs de surveillance encadrés.
I. La protection de la séparation des fonctions de police administrative et judiciaire
A. L’interdiction d’une finalité répressive pour l’autorité administrative
Le Conseil constitutionnel censure les dispositions de l’article 6 qui attribuaient à la police administrative une mission de répression des actes de terrorisme. Il souligne que les réquisitions de données techniques opérées par les services de police « constituent des mesures de police purement administrative ». Ces procédures, placées sous la responsabilité du pouvoir exécutif, « ne peuvent donc avoir d’autre finalité que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions ». En autorisant ces réquisitions pour « réprimer » les actes terroristes, le législateur a méconnu l’exigence constitutionnelle de séparation des pouvoirs publics. Cette distinction repose sur la nature de l’opération, la police administrative visant le maintien de l’ordre tandis que la police judiciaire recherche les auteurs. Le juge écarte donc les mots « et de réprimer » afin de maintenir cette compétence exclusive dans le giron des autorités chargées de l’action publique pénale.
B. Le respect des prérogatives constitutionnelles de l’autorité judiciaire
L’exclusion de la finalité répressive pour l’administration permet de garantir que seule l’autorité judiciaire puisse diriger des opérations destinées à rassembler les preuves. Le Conseil rappelle que l’article 66 de la Constitution fait de cette dernière la gardienne de la liberté individuelle et du respect des principes fondamentaux. Les réquisitions administratives de données de connexion ne sauraient donc se substituer aux actes d’enquête placés sous le contrôle direct et effectif du magistrat compétent. Le juge constitutionnel précise toutefois que l’administration conserve « l’obligation qui incombe à toute autorité administrative, lorsqu’elle acquiert la connaissance d’un crime, d’en aviser l’autorité judiciaire ». Cette réserve assure une collaboration nécessaire entre les services sans pour autant entamer l’autonomie de la phase judiciaire dans la poursuite des infractions criminelles. La séparation des fonctions demeure ainsi le socle indispensable à la protection des citoyens contre d’éventuels empiètements du pouvoir exécutif sur le domaine répressif.
II. La recherche d’un équilibre entre impératifs de sécurité et libertés individuelles
A. La conformité des outils de surveillance automatisée aux droits fondamentaux
L’article 8 de la loi prévoit l’installation de dispositifs de contrôle automatisé des plaques d’immatriculation permettant de photographier les occupants des véhicules circulant. Le Conseil estime que ce recueil automatisé ne porte pas d’atteinte substantielle à la liberté d’aller et venir protégée par la Déclaration de 1789. Le législateur a prévu des garanties rigoureuses comme l’effacement des enregistrements après huit jours en l’absence de rapprochement positif avec des fichiers de signalement. Seules les données utiles sont conservées durant un mois maximum, sauf si les nécessités d’une procédure pénale ou douanière imposent un délai plus long. Les sages considèrent que ces précautions assurent entre le « respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée ». L’accès aux traitements est limité à des agents individuellement désignés et dûment habilités, renforçant ainsi la sécurité juridique d’un dispositif de surveillance intrusif.
B. La sanction procédurale des dispositions étrangères à l’objet de la loi
Le Conseil constitutionnel censure l’article 19 relatif à la représentation syndicale au sein de la police nationale en raison de son caractère de cavalier législatif. Il rappelle que tout amendement doit présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie au Parlement. En l’espèce, cette disposition est jugée « dépourvue de tout lien » avec un projet de loi traitant exclusivement de la lutte contre le terrorisme et de sécurité. Cette sanction protège la clarté et la sincérité du débat parlementaire en évitant l’introduction subreptice de mesures sans rapport avec l’urgence sécuritaire affichée. Le juge constitutionnel réaffirme ainsi son rôle de gardien de la régularité de la procédure législative face aux tentatives de détournement de l’objet des lois. La décision consacre finalement un renforcement de l’efficacité policière sous la condition stricte d’un encadrement par des principes constitutionnels protecteurs des libertés publiques.