Le Conseil constitutionnel a rendu, le 27 juillet 2006, une décision majeure concernant la loi relative au droit d’auteur dans la société de l’information. Plusieurs parlementaires ont saisi la haute juridiction pour contester tant la régularité de la procédure d’adoption que la validité de diverses dispositions matérielles. Les critiques visaient particulièrement les mécanismes de protection technique des œuvres et les sanctions pénales associées à leur contournement ou à l’échange illicite. Le débat juridique se cristallisait autour de l’équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle et le respect des libertés fondamentales des utilisateurs. La question posée au juge constitutionnel exigeait de déterminer les limites de l’obligation de transposition d’une directive européenne au regard des principes constitutionnels nationaux. Les juges ont validé l’essentiel du texte tout en censurant des dispositions imprécises ou discriminatoires contraires à la légalité des délits et à l’égalité. L’examen de la valeur constitutionnelle de la transposition précède l’analyse du contrôle des atteintes portées aux principes de nécessité et de légalité criminelle.
I. L’encadrement constitutionnel de la transposition des directives européennes
A. L’affirmation d’une exigence constitutionnelle de transposition
Le Conseil constitutionnel souligne que « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle » fondée sur l’article 88-1 de la Constitution. Cette affirmation renforce l’obligation pour le législateur national de se conformer aux objectifs fixés par les autorités européennes lors de la rédaction des lois. Les juges précisent que le titre premier de la loi déférée a pour objet spécifique de transposer la directive du 22 mai 2001. Le respect de cette exigence constitutionnelle impose au législateur de ne pas méconnaître les dispositions inconditionnelles et précises contenues dans la norme de l’Union. La juridiction affirme ainsi la supériorité de l’obligation de transposition sur les choix politiques nationaux lors de l’élaboration des règles de propriété intellectuelle. Cette primauté garantit une harmonisation effective des échanges de biens et services culturels au sein de l’espace juridique de l’Union européenne.
L’obligation de transposition n’est cependant pas absolue et rencontre des bornes précises liées à la protection de l’ordre constitutionnel propre à la France.
B. Les limites du contrôle de la norme européenne
Le juge constitutionnel pose une réserve de principe en disposant que « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle inhérente à l’identité constitutionnelle ». Cette limite permet de sauvegarder les principes fondamentaux de la République française qui n’auraient pas été expressément acceptés par le pouvoir constituant. Le contrôle exercé par le Conseil reste toutefois restreint car il ne peut saisir la Cour de justice à titre préjudiciel durant le délai court. Il ne peut donc déclarer non conforme qu’une « disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer » dans le droit national. Cette prudence juridictionnelle évite des conflits frontaux avec le droit de l’Union tout en maintenant une vigilance sur les principes essentiels du droit français. La protection des droits de propriété intellectuelle se trouve ainsi intégrée dans un cadre normatif européen dont le juge constitutionnel assure l’application.
L’application de ce cadre européen ne doit cependant pas s’effectuer au détriment des principes cardinaux du droit pénal et du principe d’égalité.
II. La protection des droits fondamentaux face aux contraintes techniques
A. La sanction de l’imprécision des incriminations pénales
Le Conseil rappelle que « le législateur est tenu de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale » conformément à l’article 34 de la Constitution. Cette obligation de clarté vise à exclure l’arbitraire dans le prononcé des peines et à garantir la sécurité juridique de tous les citoyens. Les juges censurent l’utilisation de termes trop vagues comme la notion de travail collaboratif pour définir des causes d’exonération de la responsabilité pénale. Ils estiment que l’imprécision de tels concepts méconnaît le principe de légalité des délits et des peines garanti par la Déclaration des droits de l’homme. La décision souligne également que le législateur a failli en ne définissant pas clairement le sens qu’il attribuait à la notion particulière d’interopérabilité technique. L’exigence de précision s’impose ainsi avec une rigueur accrue lorsque la loi restreint l’exercice de libertés individuelles au profit d’intérêts économiques privés.
Le respect de la légalité criminelle se double d’une surveillance étroite de l’égalité de traitement entre les usagers des services de communication électronique.
B. La censure des discriminations fondées sur le support technologique
Le juge constitutionnel examine la différence de traitement instaurée par la loi entre les échanges sur réseaux de pair à pair et les autres moyens. Il affirme que les personnes se livrant à la reproduction non autorisée d’œuvres protégées sont placées dans une situation rigoureusement identique devant la loi. La juridiction décide que « les particularités des réseaux d’échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement » instaurée par l’article. Cette disposition instaurait une contravention pour certains logiciels de partage alors que les autres moyens restaient soumis aux sanctions plus lourdes du délit de contrefaçon. Une telle rupture d’égalité devant la loi pénale est jugée contraire à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel garantit ainsi que la répression des atteintes au droit d’auteur ne dépende pas exclusivement de la technique employée par les internautes. Cette décision assure une cohérence globale du système répressif en matière de propriété littéraire et artistique face aux évolutions rapides de la technologie.