Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, se prononce sur la loi relative au secteur de l’énergie et la privatisation.
Cette réforme législative organise le transfert au secteur privé de l’opérateur historique de gaz naturel tout en redéfinissant le régime des tarifs réglementés de vente.
Des membres du Parlement ont saisi la juridiction afin de contester la validité de ces mesures au regard des principes protecteurs des services publics nationaux.
Ils soutiennent que l’entreprise conserve les caractéristiques d’un service public national et dénoncent une atteinte à la continuité des missions d’intérêt général de la puissance publique.
La question posée au juge porte sur la possibilité de privatiser une entreprise dont l’activité est ouverte à la concurrence tout en respectant les exigences européennes.
La haute juridiction valide la privatisation sous réserve de sa prise d’effet différée mais censure le maintien généralisé des tarifs réglementés imposés à l’opérateur historique.
L’examen de la décision révèle la mutation du statut constitutionnel de l’entreprise énergétique (I) ainsi que le contrôle exercé sur le respect des engagements de l’Union (II).
I. La redéfinition du statut constitutionnel de l’opérateur énergétique
A. La perte constatée de la qualité de service public national
Le législateur dispose du pouvoir de transformer une entreprise publique en société privée à condition de priver l’entité des attributs exclusifs qui justifiaient son statut.
Le juge relève que « le législateur prive ladite entreprise des caractéristiques qui en faisaient un service public national » en mettant fin aux droits exclusifs de fourniture.
L’ouverture totale du marché à la concurrence pour les clients domestiques, prévue pour juillet 2007, rend constitutionnellement possible ce changement de régime de propriété de l’entreprise.
Le Conseil précise que « le transfert effectif au secteur privé de cette entreprise ne pourra prendre effet avant cette date » de libéralisation complète des marchés.
B. L’inexistence d’un monopole de fait au sens constitutionnel
L’interdiction de cession au secteur privé s’applique aux entreprises dont l’exploitation constitue un monopole de fait garantissant la protection des intérêts économiques et sociaux de la collectivité.
La juridiction définit cette notion « compte tenu de l’ensemble du marché à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises » et de la concurrence réelle rencontrée.
Elle souligne que les activités de production, de transport et de stockage sont désormais accessibles à d’autres opérateurs privés ou publics au sein de l’espace national.
L’entreprise ne peut donc être qualifiée de monopole dès lors que le gaz naturel constitue une énergie substituable soumise aux règles de la concurrence internationale.
II. Le contrôle rigoureux de la mise en œuvre des exigences européennes
A. La sanction d’une transposition manifestement incompatible
L’article 88-1 de la Constitution consacre l’obligation de transposer les directives communautaires, imposant au législateur de se conformer aux objectifs fixés par les autorités de l’Union européenne.
Le juge constitutionnel veille au respect de cette exigence mais refuse de déclarer non conforme une disposition sauf si elle est « manifestement incompatible avec la directive ».
Cette limite garantit l’équilibre entre la souveraineté nationale et les engagements européens tout en préservant la célérité propre au contrôle de constitutionnalité de la loi.
La juridiction nationale s’assure ainsi que le droit interne ne dénature pas les principes de libéralisation et de concurrence loyale promus par les traités communautaires.
B. La préservation de la continuité du service public après la privatisation
Les mesures relatives aux tarifs réglementés sont annulées car elles « méconnaissent manifestement l’objectif d’ouverture des marchés » concurrentiels fixé par les directives sectorielles de l’énergie électrique.
L’imposition de contraintes tarifaires permanentes à un seul opérateur historique est jugée discriminatoire et étrangère à la poursuite d’objectifs légitimes de véritable service public social.
La continuité des missions essentielles reste assurée par la création d’une « action spécifique » permettant à la puissance publique de s’opposer aux cessions d’actifs stratégiques.
Le respect des obligations de sécurité et d’approvisionnement demeure garanti par les contrôles administratifs et les pouvoirs de police du gouvernement sur l’ensemble du secteur énergétique.