Le Conseil constitutionnel, par une décision du 28 mai 2010, s’est prononcé sur la conformité de plusieurs dispositions législatives relatives aux pensions des ressortissants étrangers. Ces textes organisent le gel, couramment nommé « cristallisation », des prestations versées aux anciens combattants ayant servi sous les drapeaux de l’Union française. Des requérants ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion d’un litige relatif au calcul de leurs droits individuels à pension. Le Conseil d’État a transmis cette question portant sur l’éventuelle méconnaissance du principe d’égalité devant la loi par les dispositifs de revalorisation différenciée. Les parties soutenaient que le maintien de tarifs fixes depuis l’indépendance de certains territoires constituait une rupture d’égalité injustifiée au regard de la nationalité. La haute juridiction devait déterminer si le législateur peut légalement traiter différemment des pensionnés résidant à l’étranger selon leur seule appartenance nationale. Le Conseil déclare les dispositions contestées contraires à la Constitution car elles établissent une distinction prohibée entre des titulaires placés dans une situation identique.
Le juge constitutionnel fonde sa décision sur une lecture rigoureuse du principe d’égalité afin de censurer des dispositifs anciens de gestion budgétaire des pensions.
**I. La caractérisation d’une rupture d’égalité fondée sur la nationalité**
**A. L’identification d’une différence de traitement injustifiée** Le juge constitutionnel rappelle d’abord que le principe d’égalité n’interdit pas de traiter différemment des situations distinctes pour des motifs d’intérêt général. La décision précise que la différence de traitement doit cependant être « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » pour demeurer licite. Les dispositions de 1981 et de 2002 prévoyaient des mécanismes de revalorisation spécifiques pour certains ressortissants, les excluant du droit commun applicable aux Français. Cette distinction créait une disparité manifeste entre des individus ayant servi le même État et supportant des charges ou des fonctions de nature comparable. Le juge relève que ces textes laissent subsister une différence de traitement injustifiée avec les ressortissants nationaux résidant dans le même pays étranger. L’objet de la loi visant à assurer des conditions de vie dignes aux retraités ne saurait autoriser une telle éviction basée sur la citoyenneté.
**B. Le refus de la résidence comme justification de la discrimination** Le législateur avait tenté de lier la revalorisation des pensions au pouvoir d’achat local afin de limiter les dépenses publiques engagées pour les non-résidents. La décision admet certes que l’on puisse fonder une différence de traitement sur le lieu de résidence pour tenir compte des réalités économiques. Toutefois, le juge affirme qu’il ne pouvait établir « de différence selon la nationalité entre titulaires d’une pension civile ou militaire de retraite payée sur le budget de l’État ». La nationalité apparaît ici comme un critère inopérant pour moduler le montant de prestations dues en reconnaissance de services passés pour la France. Cette position protège la dignité des fonctions exercées au service de l’État sans que l’origine de l’agent ne vienne altérer ses droits pécuniaires. La censure frappe ainsi directement les dispositions qui maintenaient les anciens colonisés dans un régime d’exception moins favorable que celui de leurs anciens compagnons d’armes.
**II. La portée de la censure et l’encadrement des effets temporels**
**A. L’extension de l’inconstitutionnalité aux dispositifs de coordination** La déclaration d’inconstitutionnalité ne se limite pas aux textes principaux mais s’étend par ricochet à des lois de finances plus récentes modifiant les indices de calcul. L’abrogation de l’article 26 de la loi de 1981 et de l’article 68 de celle de 2002 entraîne mécaniquement l’exclusion de certains bénéficiaires d’autres protections. Le Conseil observe que cette situation « a pour effet d’exclure les ressortissants algériens du champ des dispositions » d’une loi de 2006 pourtant censée rétablir l’équité. Il en résulte une nouvelle différence de traitement fondée sur la nationalité entre les Algériens et les ressortissants d’autres anciens territoires sous souveraineté française. Le juge considère cette situation comme contraire à l’objet de la loi qui vise à « rétablir l’égalité entre les prestations versées aux anciens combattants ». Cette approche globale assure une cohérence juridique indispensable pour éviter que des vides législatifs ne recréent de nouvelles injustices sociales ou administratives.
**B. La modulation de l’abrogation pour assurer la sécurité juridique** Conscient des conséquences budgétaires et administratives massives d’une telle décision, le Conseil constitutionnel fait usage de son pouvoir de modulation dans le temps. L’abrogation immédiate replacerait les titulaires étrangers dans une situation d’inégalité encore plus grande au regard des dispositions législatives antérieures à la réforme de 2002. Pour permettre au Parlement de « remédier à l’inconstitutionnalité constatée », le juge reporte la date de prise d’effet de l’abrogation au 1er janvier 2011. Ce délai offre au gouvernement le temps nécessaire pour rédiger un nouveau cadre normatif respectueux de l’égalité tout en préservant l’équilibre financier. Les juridictions saisies de litiges similaires doivent néanmoins surseoir à statuer pour garantir l’effet utile de la décision aux requérants ayant engagé des poursuites. Cette mesure de prudence concilie la supériorité des droits fondamentaux avec l’exigence de stabilité des situations juridiques nées de législations vieilles de plusieurs décennies.