Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, s’est prononcé sur la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Saisi par plus de soixante députés, le juge constitutionnel devait examiner la conformité de ce texte à diverses exigences de valeur supérieure. Les auteurs de la saisine critiquaient la procédure d’adoption ainsi que le fond d’une réforme bouleversant l’organisation traditionnelle des paris en France. Le litige soulevait principalement la question de l’articulation entre le contrôle de constitutionnalité et le respect des engagements internationaux de l’État.
Les requérants soutenaient que la suspension d’une séance à l’Assemblée nationale avait entaché la clarté des débats parlementaires. Ils invoquaient également l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République imposant la prohibition des jeux de hasard. Les griefs portaient enfin sur l’incompatibilité de la loi avec le droit de l’Union européenne et sur l’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. La Cour de cassation, par un arrêt du 16 avril 2010, n° 12003 ND, avait par ailleurs suggéré la possibilité d’un contrôle de conventionnalité par le Conseil.
Le problème juridique central consistait à savoir si le Conseil constitutionnel pouvait intégrer le contrôle de compatibilité aux traités dans son examen de constitutionnalité. Il s’agissait aussi de déterminer si la régulation étatique des jeux d’argent constituait une protection constitutionnelle intangible. Le Conseil rejette l’ensemble des griefs et déclare les articles contestés conformes à la Constitution. Il réaffirme son incompétence pour statuer sur la conventionnalité tout en encadrant strictement la libéralisation du secteur des jeux.
I. La consécration de l’autonomie du contrôle de constitutionnalité à l’égard du droit européen
A. L’incompétence maintenue pour le contrôle de conventionnalité des lois
Le Conseil constitutionnel refuse d’inclure le respect des traités internationaux dans le périmètre du contrôle de constitutionnalité exercé au titre de l’article 61. Cette position classique est ici maintenue malgré les évolutions récentes liées à la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité. Les juges précisent que « le moyen tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux engagements internationaux et européens ne saurait être regardé comme un grief d’inconstitutionnalité ».
Cette décision confirme la séparation stricte entre la hiérarchie des normes constitutionnelles et l’autorité supérieure des traités définie par l’article 55. Le juge constitutionnel décline ainsi l’invitation à devenir le garant direct de la primauté du droit de l’Union européenne sur la loi. Cette mission demeure exclusivement confiée aux juridictions ordinaires, lesquelles doivent assurer la pleine efficacité des normes européennes.
B. La préservation de l’office du juge ordinaire en matière européenne
L’introduction de la procédure prioritaire de constitutionnalité ne doit pas entraver le dialogue entre les juridictions nationales et la Cour de justice de l’Union européenne. Le Conseil souligne que les juges administratifs et judiciaires conservent la faculté ou l’obligation de saisir cette dernière d’une question préjudicielle. Ils peuvent ainsi « suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l’Union » pour garantir les droits des justiciables.
La supériorité du droit européen est assurée par le juge de droit commun, même lorsqu’une disposition législative a été déclarée conforme à la Constitution. Le Conseil rappelle que son propre contrôle ne limite pas la compétence des tribunaux pour faire prévaloir les engagements internationaux sur une loi incompatible. Cette répartition des rôles permet de maintenir la spécificité du contrôle de constitutionnalité tout en respectant les exigences propres à l’ordre juridique européen.
II. L’encadrement constitutionnel de la libéralisation régulée des jeux de hasard
A. L’exclusion d’un principe fondamental de prohibition des jeux
Le Conseil constitutionnel écarte la reconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui interdirait la libéralisation des jeux. Pour être qualifié de tel, un principe doit résulter d’une législation républicaine constante et non contredite avant l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946. Or, les juges observent que les lois de 1891 et 1924 ont « constamment assorti » le principe de prohibition « de dérogations et d’exceptions importantes ».
La tradition législative française n’a jamais conféré un caractère absolu à l’interdiction des jeux de hasard, permettant ainsi au législateur d’en modifier le régime. L’existence de nombreux établissements autorisés, tels que les casinos ou la loterie nationale, contredit l’idée d’un principe constitutionnel intangible. Le législateur dispose donc d’une liberté d’appréciation pour organiser l’ouverture à la concurrence de ce secteur particulier sous réserve de garanties suffisantes.
B. La conciliation proportionnée entre liberté et impératifs d’ordre public
La loi contestée opère un arbitrage entre la liberté d’entreprendre et la sauvegarde de l’ordre public, cette dernière incluant la protection de la santé. Le Conseil estime que le législateur a adopté des mesures propres à assurer « une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée » entre ces deux exigences. La création d’une autorité de régulation et la mise en place d’agréments préalables participent activement à cet objectif de contrôle étatique.
Les dispositions relatives à la protection des mineurs et à la lutte contre l’assuétude répondent directement aux exigences du onzième alinéa du Préambule de 1946. En soumettant les opérateurs à des obligations de modération, le législateur ne prive pas de garanties légales la protection de la santé publique. Le régime de taxation différenciée est également validé car il repose sur des critères objectifs liés aux spécificités de chaque type de jeu.