Conseil constitutionnel, Décision n° 2011-127 QPC du 6 mai 2011

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 février 2011 d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur des dispositions du code de la sécurité sociale. La contestation concerne l’indemnisation des accidents du travail subis par les marins dans le cadre de leur régime spécial de protection sociale. Des marins victimes d’accidents ont soutenu que l’impossibilité d’obtenir une indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable de l’employeur méconnaissait les principes constitutionnels. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 23 mars 2004, avait précédemment confirmé que ce régime particulier excluait tout recours. Les requérants invoquent une violation de l’égalité devant la loi et du principe de responsabilité garantis par les textes fondamentaux de la République. Ce litige interroge la capacité d’un régime dérogatoire à priver un salarié de son droit d’agir contre l’employeur pour une faute grave. L’étude de la spécificité des régimes de protection sociale précédera l’analyse de l’exigence de réparation intégrale pour les fautes inexcusables de l’employeur.

I. La validation de la dualité des régimes de protection sociale

A. La reconnaissance de la spécificité des risques maritimes Le Conseil constitutionnel souligne que le législateur peut établir des règles d’indemnisation particulières pour les marins au regard de leur situation professionnelle spécifique. Il estime qu’« eu égard aux conditions particulières dans lesquelles les marins exercent leurs fonctions », une dérogation législative est parfaitement envisageable. Cette analyse valide l’existence d’un régime spécial autonome par rapport aux règles de droit commun prévues par le code de la sécurité sociale. Les juges admettent que la nature périlleuse du travail maritime justifie un encadrement distinct des prestations versées aux victimes de maladies professionnelles. La reconnaissance de la singularité du métier de marin constitue le socle du raisonnement suivi pour apprécier la validité du décret-loi contesté.

B. La conformité des régimes dérogatoires au principe d’égalité L’examen de la constitutionnalité se poursuit au regard de l’article 6 de la Déclaration de 1789 qui impose une loi identique pour tous. Les sages rappellent que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur traite différemment des situations juridiques distinctes. La différence de traitement constatée doit simplement être en rapport direct avec l’objet de la norme juridique qui l’établit. La décision énonce qu’« en elle-même, une telle dérogation ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi » au sein du code. Le pouvoir législatif dispose d’une liberté pour organiser l’indemnisation des travailleurs selon les contraintes propres à chaque secteur d’activité. L’admission de cette dualité normative n’autorise cependant pas une exonération totale de responsabilité au détriment des droits fondamentaux des travailleurs maritimes.

II. L’exigence de réparation intégrale en cas de faute inexcusable

A. La protection constitutionnelle du droit des victimes d’actes fautifs L’exigence de responsabilité découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 qui impose la réparation de tout dommage causé par l’homme. Le Conseil affirme que la faculté d’agir en responsabilité met en œuvre ce principe, même si la loi peut en aménager les conditions. Les limitations apportées ne doivent pas entraîner « une atteinte disproportionnée ni aux droits des victimes d’actes fautifs ni au droit au recours ». La protection des victimes d’actes fautifs devient un impératif limitant l’autonomie du législateur dans la définition des régimes spéciaux de sécurité sociale. Cette protection constitutionnelle justifie une intervention corrective du juge afin de rétablir l’équilibre rompu par une interprétation jurisprudentielle trop rigide.

B. La portée corrective de la réserve d’interprétation Le Conseil constitutionnel juge que les articles contestés seraient contraires à la Constitution s’ils interdisaient tout recours pour faute inexcusable de l’employeur. Il émet une réserve d’interprétation capitale en précisant que ces textes ne peuvent faire « obstacle à ce qu’un marin victime puisse demander une indemnisation ». Cette solution impose l’alignement des droits des marins sur ceux des salariés du régime général concernant les fautes graves de leur armateur. La portée de la décision est immense puisqu’elle écarte l’interprétation jurisprudentielle restrictive traditionnellement retenue par les juges de la Cour de cassation. Le droit maritime social se trouve rééquilibré par l’application effective des principes supérieurs de la responsabilité civile et de la justice sociale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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