Le Conseil constitutionnel a rendu, le 30 juin 2011, une décision fondamentale portant sur le financement des prestations sociales décentralisées par les départements. Cette décision intervient dans un contexte de tensions financières croissantes entre l’État central et les collectivités territoriales chargées de l’action sociale.
Les départements requérants critiquaient l’insuffisance des dotations et des parts d’impôts affectées à la couverture des dépenses du revenu de solidarité active. Ils invoquaient une méconnaissance de leur autonomie financière ainsi qu’une violation du principe de compensation intégrale des charges transférées par le législateur.
Saisi de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité par le Conseil d’État, le juge constitutionnel devait examiner la validité des dispositifs législatifs fixant ces ressources. Les requérants soutenaient que le manque de moyens financiers entravait gravement leur libre administration en violation des articles 72 et 72-2 de la Constitution.
Le problème juridique central consistait à déterminer si le législateur respecte les exigences constitutionnelles lorsqu’il n’ajuste pas les ressources aux dépenses réelles constatées ultérieurement. La question portait également sur le point de savoir si l’alourdissement des charges sociales peut dénaturer l’autonomie des collectivités.
Le Conseil constitutionnel a conclu à la conformité des dispositions contestées tout en précisant les limites du contrôle exercé sur les choix budgétaires nationaux. Il a rappelé que la compensation s’apprécie uniquement à la date du transfert initial des compétences sans obligation d’ajustement pérenne.
I. L’encadrement rigoureux du principe de compensation financière
A. Une équivalence des ressources cantonnée à la date du transfert
Le juge constitutionnel rappelle que le transfert de compétences impose une attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice antérieur. Il précise que « lorsqu’il transfère aux collectivités territoriales des compétences auparavant exercées par l’État, le législateur est tenu de leur attribuer des ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert ». Cette interprétation limite strictement l’obligation de l’État à un montant figé dans le temps.
L’équivalence financière ne garantit donc pas une indexation des ressources sur l’augmentation future des dépenses sociales obligatoires mises à la charge des départements. La décision souligne que le respect de ce principe s’apprécie au moment précis où la collectivité territoriale assume la nouvelle responsabilité juridique et financière. Le législateur dispose d’une marge de manœuvre importante pour fixer les modalités techniques de cette compensation initiale par des recettes fiscales ou des dotations.
B. La liberté d’appréciation du législateur pour les extensions de compétences
La décision opère une distinction nette entre le transfert de compétences existantes et la création ou l’extension de nouvelles missions obligatoires pour les départements. Concernant ces dernières, le Conseil constitutionnel affirme qu’il « n’est fait obligation au législateur que d’accompagner ces créations ou extensions de compétences de ressources dont il lui appartient d’apprécier le niveau ». Cette règle offre une protection constitutionnelle beaucoup moins forte aux collectivités territoriales.
Le législateur reste seul juge de l’adéquation entre les nouvelles charges créées et les moyens financiers alloués pour les couvrir. L’institution du revenu de solidarité active est ainsi analysée comme une extension de compétences ne bénéficiant pas de la garantie d’équivalence absolue. La conformité à la Constitution dépend alors simplement de l’existence d’une ressource déterminée par la loi sans exigence de couverture intégrale du coût réel.
II. Une autonomie locale maintenue sous le contrôle restreint du juge
A. L’absence de dénaturation du principe de libre administration
Le Conseil constitutionnel tempère la rigueur de son raisonnement en rappelant que les ressources ne doivent pas être restreintes de manière excessive. Les règles fixées par la loi « ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources des collectivités territoriales au point de dénaturer le principe de libre administration ». Cette réserve de constitutionnalité vise à empêcher une asphyxie financière totale qui rendrait illusoire la gestion des affaires locales.
Toutefois, le juge estime dans cette espèce que l’évolution des dépenses sociales n’a pas atteint un seuil de gravité suffisant pour constituer une telle dénaturation. La libre administration reste respectée tant que les départements conservent une part de ressources propres et une capacité de décision minimale. L’alourdissement de la charge financière ne suffit pas à caractériser, en lui-même, une atteinte inconstitutionnelle à l’autonomie des collectivités territoriales requérantes.
B. L’étroitesse du contrôle juridictionnel face aux évolutions budgétaires
La décision écarte fermement l’argument fondé sur le changement de circonstances pour remettre en cause des dispositions législatives déjà déclarées conformes. Le Conseil constitutionnel juge que « si les charges exposées par les départements […] ont augmenté plus que les ressources […] il n’en résulte aucun changement des circonstances ». Cette position verrouille toute possibilité de contester l’obsolescence d’une compensation financière devenue manifestement insuffisante au fil des années.
Le juge refuse ainsi de se substituer au pouvoir politique pour arbitrer les déséquilibres financiers profonds nés de la décentralisation de l’action sociale. Les départements doivent supporter les conséquences d’une croissance du nombre d’allocataires sans pouvoir exiger un abondement complémentaire automatique de la part de l’État. La portée de cette jurisprudence confirme la prééminence de la loi de finances nationale sur les revendications budgétaires des autorités locales.