Conseil constitutionnel, Décision n° 2011-159 QPC du 5 août 2011

Le Conseil constitutionnel, par une décision rendue le 5 août 2011, a statué sur la conformité de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819. Cette disposition ancienne instaurait un droit de prélèvement permettant à l’héritier français de compenser sur les biens situés en France une exclusion successorale subie à l’étranger. Des cohéritiers ont contesté cette règle par une question prioritaire de constitutionnalité lors d’un litige successoral complexe impliquant des patrimoines situés dans plusieurs États. Les requérants soutenaient que ce mécanisme préférentiel méconnaissait le principe d’égalité devant la loi ainsi que le droit de propriété garanti par la Déclaration de 1789. La question posée aux juges était de savoir si une différence de traitement fondée sur la seule nationalité est compatible avec les exigences constitutionnelles de non-discrimination. Le Conseil constitutionnel déclare la disposition contraire à la Constitution car « cette différence de traitement n’est pas en rapport direct avec l’objet de la loi ». L’analyse de cette décision suppose d’examiner la caractérisation de la rupture d’égalité avant d’envisager la disparition d’un privilège de nationalité devenu juridiquement anachronique.

I. La caractérisation d’une rupture d’égalité entre cohéritiers

A. L’identification d’une règle matérielle dérogatoire

Le Conseil relève que l’article contesté « institue une règle matérielle dérogeant à la loi étrangère désignée par la règle de conflit de lois française ». Cette mesure s’applique dès qu’un cohéritier au moins est français et que la succession comprend des actifs mobiliers ou immobiliers localisés sur le territoire national. Le législateur de 1819 entendait protéger l’héritier national venant à la succession d’après la loi française contre les rigueurs des législations étrangères jugées injustes ou discriminatoires. Bien que les critères de rattachement retenus soient en rapport avec cet objet, le bénéfice du prélèvement compensatoire demeure strictement réservé aux seuls citoyens de nationalité française. Cette exclusivité crée une distinction fondamentale entre des individus placés pourtant dans une situation successorale identique au regard des règles de dévolution de notre droit civil.

B. L’absence de rapport direct avec l’objectif législatif

La décision souligne que la disposition « établit ainsi une différence de traitement entre les héritiers venant également à la succession d’après la loi française ». Le mécanisme de compensation ne profite jamais aux héritiers de nationalité étrangère, même si ces derniers subissent une éviction patrimoniale identique hors des frontières. Les sages considèrent que l’objectif de protection de la réserve héréditaire ne saurait valablement justifier une telle rupture d’égalité entre des héritiers de même rang. La différence de traitement est jugée sans rapport direct avec l’intention du législateur de garantir une équité de partage entre tous les membres d’une fratrie. Le principe d’égalité devant la loi s’oppose désormais à ce que la nationalité soit le critère unique pour accorder une protection contre les lois étrangères.

II. La disparition d’un privilège de nationalité anachronique

A. La primauté de l’égalité sur la protection de la réserve héréditaire

Le Conseil constitutionnel affirme solennellement que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », conformément à l’article 6 de la Déclaration de 1789. En censurant ce droit de prélèvement, le juge privilégie une conception universelle de l’égalité civile au détriment d’une protection nationale étroite et historiquement datée. La réserve héréditaire, bien qu’étant un élément central de notre ordre public successoral, ne constitue pas un motif suffisant pour déroger au principe constitutionnel supérieur. Cette solution marque le refus définitif de maintenir des privilèges fondés sur des considérations souverainistes qui ne répondent plus aux exigences de l’État de droit moderne. L’héritier français ne peut plus jouir d’une supériorité juridique automatique par rapport à ses cohéritiers étrangers lors d’un partage de biens situés en France.

B. Les conséquences sur le droit international privé des successions

La déclaration d’inconstitutionnalité entraîne l’abrogation immédiate d’une règle centenaire qui perturbait la cohérence du droit international privé par son caractère impératif et unilatéral. Cette décision modernise les relations juridiques transfrontalières en imposant le respect de l’égalité successorale sans distinction tenant à l’origine ou à la nationalité des parties prenantes. Les praticiens doivent désormais appliquer les règles de conflit ordinaires sans pouvoir recourir à ce palliatif injuste qui favorisait artificiellement les seuls intérêts des ressortissants nationaux. La portée de cet arrêt s’étend au-delà du droit des successions en confirmant la vigilance du Conseil face aux discriminations résiduelles présentes dans les textes anciens. Le droit de propriété des héritiers étrangers se trouve ainsi consolidé par une lecture rigoureuse et protectrice des libertés fondamentales garanties à chaque individu.

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Hassan KOHEN
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