Le Conseil constitutionnel a rendu, le 22 septembre 2011, une décision relative à la conformité de l’article L. 455-1-1 du code de la sécurité sociale à la Constitution française. Un salarié fut victime d’un accident du travail impliquant un véhicule terrestre à moteur conduit par un préposé de son entreprise sur un site privé. L’événement s’étant produit sur une voie non ouverte à la circulation publique, la victime ne pouvait pas solliciter le bénéfice de la loi du 5 juillet 1985.
Une question prioritaire de constitutionnalité fut soulevée lors d’un litige relatif à la réparation des préjudices subis par le travailleur devant les juridictions de l’ordre judiciaire. Le requérant contestait la validité des dispositions limitant l’indemnisation complémentaire aux seuls accidents de la circulation survenant sur une voie ouverte à la circulation publique.
Il était soutenu que ces dispositions portaient atteinte au principe d’égalité devant la loi ainsi qu’au principe de responsabilité garantis par le bloc de constitutionnalité. La partie demanderesse affirmait que la distinction fondée sur la situation géographique de l’accident créait une rupture d’égalité injustifiée entre les victimes de dommages corporels.
Le juge constitutionnel devait déterminer si la restriction de l’indemnisation complémentaire aux seuls accidents de la voie publique respectait les exigences des articles 4 et 6 de la Déclaration de 1789. Il s’agissait de vérifier si le critère de la publicité du lieu constituait un motif d’intérêt général suffisant pour restreindre le droit commun de la responsabilité.
La juridiction a décidé que l’article contesté était parfaitement conforme à l’ensemble des règles de la Constitution française. La différence de traitement qui en résulte se trouve être en rapport direct avec l’objet de la législation contestée. L’examen de cette décision conduit à analyser la consécration d’une distinction fondée sur la nature du risque avant d’envisager le maintien de l’équilibre du régime professionnel.
I. La consécration d’une distinction fondée sur la nature du risque de circulation
A. L’absence de méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité devant la loi Le requérant prétendait que la loi créait une discrimination entre les salariés selon que l’accident de véhicule se produisait sur une route publique ou privée. Le Conseil rappelle que l’article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que « la loi… doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Ce principe n’interdit pas au législateur de régler de façon différente des situations distinctes pour des raisons d’intérêt général liées à l’objet du texte. L’exclusion des voies privées du champ de la loi du 5 juillet 1985 répond à cette faculté d’aménagement des régimes juridiques par la représentation nationale. Cette égalité formelle devant la règle se double d’une appréciation pragmatique portant sur la nature même des lieux où circulent les engins motorisés de l’employeur.
B. La pertinence du critère de la voie ouverte à la circulation publique La décision souligne que le législateur a entendu établir une distinction entre les risques « selon qu’ils sont essentiellement liés à l’exercice de la profession ou à la circulation automobile ». L’application de la législation spéciale sur les accidents de la route est ainsi réservée aux espaces où le danger routier dépasse le cadre habituel du travail. Le critère géographique de la voie publique constitue un élément objectif permettant de définir avec précision le régime de responsabilité applicable à la victime du dommage. Cette différenciation repose sur une analyse concrète de l’environnement dans lequel survient le sinistre impliquant un véhicule terrestre à moteur au sein de l’entreprise. Au-delà de cette différenciation spatiale, le Conseil s’attache à vérifier que le renvoi au régime forfaitaire de sécurité sociale ne lèse pas excessivement le droit des victimes.
II. Le maintien de l’équilibre du régime spécifique des accidents du travail
A. L’encadrement législatif proportionné de la mise en œuvre de la responsabilité Le second grief invoquait la méconnaissance de l’article 4 de la Déclaration de 1789 selon lequel « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Cette disposition implique que tout fait de l’homme causant un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer intégralement. Le législateur peut toutefois apporter des limitations à ce droit pour un motif d’intérêt général sans porter une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs. Le régime des accidents du travail constitue un tel aménagement justifié par la volonté de garantir une indemnisation automatique sans preuve de la faute de l’employeur. Une fois admise la possibilité de limiter la responsabilité, il convient de s’assurer que le dispositif de remplacement offre des garanties suffisantes au salarié lésé.
B. La validation constitutionnelle du renvoi au forfait de la sécurité sociale Le juge précise que l’indemnisation prévue par le code de la sécurité sociale ne porte pas atteinte au principe de responsabilité même en l’absence de réparation intégrale. En soumettant le salarié au « régime des accidents du travail prévu par le code de la sécurité sociale », la loi préserve un équilibre entre protection sociale et responsabilité civile. Cette solution garantit une prise en charge rapide des conséquences de l’accident et évite une multiplication des recours contentieux au sein des organisations productives privées. La décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 avait déjà confirmé la validité de ce système protecteur fondé sur une solidarité nationale renforcée. La disposition contestée est donc déclarée conforme à la Constitution car elle ne méconnaît aucun droit ou liberté que le texte suprême garantit aux citoyens français.