Le Conseil constitutionnel a rendu, le 10 mars 2011, une décision d’importance majeure relative à la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Plusieurs députés et sénateurs ont saisi la juridiction afin de contester la conformité de nombreuses dispositions renforçant les pouvoirs de police administrative et judiciaire. Les requérants invoquaient notamment des atteintes à la liberté individuelle, au respect de la vie privée, au droit de propriété et au principe de nécessité des peines. Le litige portait essentiellement sur l’équilibre délicat entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et l’exercice des libertés fondamentales garanties.
Le juge constitutionnel a procédé à un examen détaillé de chaque article déféré, validant certains dispositifs techniques tout en censurant les mesures jugées manifestement disproportionnées ou inconstitutionnelles. La question centrale résidait dans la capacité du législateur à déléguer des missions régaliennes ou à restreindre les libertés sans offrir de garanties juridictionnelles suffisantes. Cette décision illustre la fonction de régulateur du Conseil constitutionnel face à l’extension constante des prérogatives policières dans un État de droit moderne. L’étude de cette jurisprudence permet d’analyser la validation de certains renforcements sécuritaires avant d’envisager la protection rigoureuse des principes constitutionnels par la censure.
I. UNE CONCILIATION ADMISE ENTRE IMPÉRATIFS DE SÉCURITÉ ET LIBERTÉS PUBLIQUES
Le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur une marge d’appréciation pour définir les modalités de lutte contre la criminalité et la préservation de l’ordre public. Il estime que certains dispositifs de surveillance technologique ou de répression pénale ne portent pas une atteinte excessive aux droits fondamentaux des citoyens.
A. La validation de mesures administratives et technologiques encadrées
L’article 4 de la loi prévoyait un dispositif de blocage administratif des sites internet diffusant des images pornographiques représentant des mineurs pour protéger les utilisateurs. Le juge considère que « le législateur n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation » car la décision administrative peut être contestée devant une juridiction compétente. Cette possibilité de recours juridictionnel assure une « conciliation qui n’est pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication ». La Haute juridiction valide également le régime des fichiers d’antécédents sous réserve d’un contrôle effectif de l’autorité judiciaire sur les données enregistrées.
Le contrôle de l’identité dans les transports publics par des agents de sécurité, prévu à l’article 58, est également jugé conforme à la Constitution. Les sages considèrent que les contraintes imposées sont « limitées à ce qui est nécessaire pour la sauvegarde des fins d’intérêt général ayant valeur constitutionnelle ». Le juge constitutionnel s’assure ainsi que les mesures de police administrative restent strictement proportionnées aux nécessités de l’enquête ou de la sécurité. La présence d’un officier de police judiciaire comme autorité de décision garantit l’absence d’arbitraire lors des opérations de rétention temporaire des contrevenants.
B. La reconnaissance du pouvoir législatif en matière de politique pénale
S’agissant des peines minimales pour les violences aggravées, le Conseil constitutionnel rejette le grief tiré de la méconnaissance du principe d’individualisation des sanctions. Il observe que la juridiction conserve la faculté de prononcer une peine inférieure aux seuils fixés en considération des circonstances de l’infraction. Le texte précise que « le législateur n’a pas modifié le pouvoir de la juridiction d’ordonner » un sursis ou une mise à l’épreuve pour le condamné. Cette souplesse permet de respecter l’article 8 de la Déclaration de 1789 tout en affirmant une volonté de fermeté pénale.
L’extension des périodes de sûreté pour les meurtres commis contre des personnes dépositaires de l’autorité publique est également jugée conforme aux exigences constitutionnelles. Le juge souligne que les dispositions « ne sont pas manifestement contraires au principe de nécessité des peines » en raison des voies de recours existantes. L’aménagement des peines reste possible après une durée déterminée d’incarcération, ce qui favorise l’amendement et la réinsertion éventuelle du condamné. Cette validation globale des mesures répressives est toutefois tempérée par une censure stricte des dispositifs portant atteinte aux compétences régaliennes de l’État.
II. UNE SANCTION RIGOUREUSE DES ATTEINTES DISPROPORTIONNÉES AUX PRINCIPES CONSTITUTIONNELS
Le Conseil constitutionnel exerce une vigilance particulière lorsque le législateur tente de déléguer des missions de police à des entités privées ou municipales. Il censure également les mesures privatives de liberté qui ne sont pas assorties de garanties suffisantes pour les personnes concernées.
A. La défense du monopole étatique sur les fonctions régaliennes
L’article 18 de la loi permettait de déléguer à des personnes privées l’exploitation et le visionnage de la vidéoprotection sur la voie publique. Le juge censure fermement cette disposition en rappelant que la force publique est instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière. Il considère que ce dispositif rend possible la « délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique ». Cette mission de surveillance générale doit demeurer sous le contrôle exclusif de l’autorité publique pour garantir le respect des droits des citoyens.
Par ailleurs, l’article 92 prévoyait d’étendre le pouvoir de contrôle d’identité aux agents de police municipale sans qu’ils soient mis à disposition judiciaire. Le Conseil constitutionnel juge que cette extension méconnaît l’article 66 de la Constitution car ces agents ne relèvent pas directement des officiers de police judiciaire. Il affirme que « l’exigence de direction et de contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire ne serait pas respectée » dans ces conditions. Le juge protège ainsi l’unité de la police judiciaire sous le contrôle de magistrats indépendants, évitant un éparpillement dangereux des pouvoirs.
B. La protection de la liberté individuelle et des garanties juridictionnelles
L’évacuation forcée des campements illicites prévue à l’article 90 est déclarée inconstitutionnelle en raison de la précarité des garanties offertes aux occupants évacués. Le juge souligne que l’évacuation peut intervenir « sans considération de la situation personnelle ou familiale de personnes défavorisées et ne disposant pas d’un logement décent ». Le recours suspensif devant le tribunal administratif est jugé insuffisant pour assurer une conciliation équilibrée avec le droit à un logement décent. Cette censure rappelle que l’ordre public ne saurait justifier des mesures d’une brutalité excessive à l’égard des populations les plus vulnérables.
Enfin, la possibilité de tenir des audiences de rétention administrative au sein même des centres de rétention, prévue à l’article 101, est invalidée. Le Conseil estime que cette localisation est « manifestement inappropriée à la nécessité de statuer publiquement » telle que requise par les principes du procès équitable. Le juge censure également les peines minimales applicables aux mineurs et les procédures de convocation directe devant le tribunal pour enfants sans instruction préalable. Ces décisions marquent une volonté claire de préserver la spécificité de la justice des mineurs et l’exigence de dignité dans les procédures judiciaires.