Conseil constitutionnel, Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 21 février 2013, une décision fondamentale concernant le régime des cultes applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Une association requérante contestait la constitutionnalité de l’article VII des articles organiques des cultes protestants issus de la loi du 18 germinal an X. L’association prétendait que le financement public des pasteurs violait les principes de non-subventionnement et de non-reconnaissance des cultes découlant de l’article premier de la Constitution.

L’affaire a été portée devant la juridiction constitutionnelle par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité relative au traitement des ministres du culte. La requérante soutenait que l’obligation pour l’État de pourvoir à la rémunération des pasteurs consistoriaux méconnaissait l’exigence constitutionnelle de neutralité de la République. Elle invoquait une rupture de l’égalité devant la loi entre les citoyens selon leur religion ainsi qu’une atteinte au principe de séparation des Églises et de l’État.

La question de droit soumise au Conseil consistait à déterminer si le principe de laïcité interdit le maintien de dispositions législatives prévoyant le salarié des ministres du culte. Les juges devaient ainsi arbitrer entre l’universalité d’un principe constitutionnel et la survie de régimes juridiques territoriaux dérogatoires hérités de l’histoire nationale.

Le Conseil constitutionnel écarte le grief et déclare les dispositions contestées conformes à la Constitution en s’appuyant sur l’intention manifeste des constituants de 1946 et 1958. Il affirme que « le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit » sans pour autant invalider les spécificités locales.

**I. La conciliation du principe de laïcité avec le droit local alsacien-mosellan**

**A. L’affirmation des exigences constitutionnelles de neutralité et de non-salarié**

La décision définit d’abord le contenu normatif du principe de laïcité en se fondant sur l’article 10 de la Déclaration de 1789 et l’article premier de la Constitution. Le Conseil précise que la neutralité de l’État et le respect de toutes les croyances constituent des piliers indispensables de l’ordre républicain français. Il souligne explicitement que la République « ne reconnaît aucun culte » et qu’il lui est normalement interdit de salarier ou de subventionner une quelconque organisation religieuse.

Cette interprétation consacre une vision juridique de la laïcité qui impose l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion. Les juges rappellent que la puissance publique doit garantir le libre exercice des cultes sans pour autant apporter un soutien financier ou un statut privilégié. Cette exigence semble, au premier abord, entrer en contradiction directe avec le maintien de traitements versés par le Trésor public aux pasteurs.

**B. Le maintien dérogatoire d’une organisation cultuelle territorialisée**

Le Conseil constitutionnel justifie la survie de la législation locale par une analyse historique de l’introduction des lois françaises dans les départements de l’Est. Il rappelle que la loi du 1er juin 1924 a expressément maintenu en vigueur le régime des cultes reconnu par l’ordonnance du 15 septembre 1944. Ces dispositions particulières n’ont jamais été abrogées par la loi de 1905 dont l’application n’a pas été étendue à ces territoires lors de leur retour.

La juridiction refuse ainsi d’appliquer de manière uniforme et absolue le principe de séparation sur l’ensemble du territoire national au nom de la continuité législative. Elle valide l’existence de « dispositions législatives ou règlementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République » lors de l’entrée en vigueur de la Constitution. Cette solution permet de préserver un équilibre social et juridique spécifique sans remettre en cause l’unité fondamentale de la République française.

**II. Une décision de conservation entre pragmatisme et portée limitée**

**A. La validation de l’héritage républicain par l’interprétation historique**

La valeur de cette décision réside dans le recours aux travaux préparatoires des Constitutions de 1946 et de 1958 pour éclairer la volonté du constituant. Le Conseil estime que la proclamation du caractère laïque de la République n’avait pas pour objet de supprimer les régimes cultuels locaux alors existants. Cette méthode d’interprétation originelle permet de neutraliser le potentiel subversif du principe de laïcité à l’égard des survivances du régime concordataire.

Le raisonnement juridique privilégie une approche réaliste de la norme constitutionnelle en tenant compte des contextes politiques et géographiques propres à l’Alsace et à la Moselle. Les juges évitent ainsi de créer une insécurité juridique majeure qui aurait découlé de l’abrogation brutale de statuts séculaires profondément ancrés dans l’organisation locale. Cette prudence jurisprudentielle témoigne d’une volonté de protéger le pacte social tout en réaffirmant solennellement les principes directeurs de l’État.

**B. Une immunité constitutionnelle restreinte aux régimes préexistants**

La portée de la décision demeure strictement circonscrite aux dispositions déjà en vigueur lors de l’adoption des textes constitutionnels de la Quatrième et de la Cinquième République. Le Conseil constitutionnel ne délivre pas un blanc-seing pour la création de nouveaux régimes de cultes salariés ou pour l’extension de subventions publiques inédites. Il fige simplement une situation historique en lui accordant une protection contre les griefs tirés d’une application trop rigide de la laïcité.

Cette jurisprudence confirme que le droit local bénéficie d’une forme de garantie constitutionnelle tant qu’il ne porte pas atteinte à d’autres libertés fondamentales protégées. La solution retenue limite les risques de contentieux futurs visant à contester le statut des autres cultes reconnus ou le financement des bâtiments cultuels. La décision du 21 février 2013 stabilise définitivement le cadre juridique des relations entre les cultes et les pouvoirs publics dans l’Est de la France.

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Hassan KOHEN
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