Le Conseil constitutionnel, par une décision du 9 janvier 2014, s’est prononcé sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions anciennes relatives à la nationalité. Une requérante a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité concernant les articles 87 et 9 du code de la nationalité française, issus de l’ordonnance du 19 octobre 1945. Ces textes prévoyaient que la perte de la nationalité française consécutive à l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère s’opérait de plein droit pour les seules femmes françaises. Pour les hommes, cette perte était subordonnée à une autorisation préalable du Gouvernement, instaurée initialement afin d’empêcher que l’acquisition d’une nationalité étrangère ne permette d’échapper à la conscription. Saisi de ce grief, le Conseil constitutionnel a dû déterminer si cette distinction fondée sur le sexe méconnaissait le principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Cette décision invite à examiner la consécration de l’égalité des sexes face à la perte de nationalité, puis la portée temporelle et substantielle de cette inconstitutionnalité.
**I. La consécration de l’égalité des sexes face à la perte de nationalité**
*A. La remise en cause d’un régime différencié discriminatoire* L’ordonnance du 19 octobre 1945 disposait que « Perd la nationalité française le Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère », ce principe s’appliquant alors de plein droit. L’article 9 du même code introduisait une exception notable pour les individus du sexe masculin, dont la perte de nationalité restait soumise à une autorisation gouvernementale. La requérante soulignait que cette architecture législative imposait une perte automatique de la nationalité française aux femmes, les privant d’un choix pourtant offert à leurs homologues masculins. Le législateur instaurait une distinction frontale entre les citoyens en raison de leur genre, ce qui heurtait directement les exigences du troisième alinéa du Préambule de 1946. La juridiction constitutionnelle rappelle que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » pour censurer cette inégalité.
*B. Le contrôle de proportionnalité au regard de l’intérêt général* Le Conseil constitutionnel admet que le législateur peut déroger à l’égalité pour des motifs d’intérêt général, à condition que la différence de traitement soit proportionnée à l’objectif. La restriction imposée aux hommes visait à faire « obstacle à l’utilisation des règles relatives à la nationalité pour échapper aux obligations du service militaire ». Cette finalité justifiait que le Gouvernement puisse s’opposer à la perte de nationalité des hommes soumis à la conscription durant certaines périodes précises de leur existence. La loi du 9 avril 1954 avait toutefois étendu ce droit de conservation de la nationalité à tous les hommes, sans considération de leur situation militaire réelle. Le Conseil juge que ces dispositions « instituent entre les femmes et les hommes une différence de traitement sans rapport avec l’objectif poursuivi et qui ne peut être regardée comme justifiée ».
Après avoir établi le caractère discriminatoire de la norme, il convient d’apprécier la manière dont le Conseil constitutionnel organise la disparition de cette inégalité juridique.
**II. La portée temporelle et substantielle de l’inconstitutionnalité**
*A. Une abrogation ciblée préservant l’équilibre législatif* La déclaration d’inconstitutionnalité prononcée par les sages ne porte pas sur l’intégralité du dispositif contesté mais se concentre spécifiquement sur le critère de distinction fondé sur le sexe. Seuls les mots « du sexe masculin » figurant aux premier et troisième alinéas de l’article 9 de l’ordonnance du 19 octobre 1945 sont frappés par la censure. Cette technique de l’abrogation partielle permet d’éliminer le vice de discrimination tout en maintenant la cohérence globale du code de la nationalité applicable durant la période concernée. Par cette décision, le Conseil constitutionnel aligne rétroactivement le régime des femmes sur celui des hommes, leur offrant la possibilité de prétendre n’avoir jamais perdu la qualité de Français. Cette solution restaure une unité de statut juridique pour tous les citoyens, indépendamment de leur genre, conformément aux exigences de l’article 6 de la Déclaration de 1789.
*B. L’encadrement des effets rétroactifs pour la sécurité juridique* En application de l’article 62 de la Constitution, le Conseil détermine les conditions dans lesquelles les effets passés de la disposition inconstitutionnelle peuvent être remis en cause. La remise en cause générale des situations juridiques anciennes « aurait des conséquences excessives si cette inconstitutionnalité pouvait être invoquée par tous les descendants » de ces personnes. Pour protéger la stabilité de l’état des personnes, la décision limite le bénéfice de cette inconstitutionnalité aux seules femmes ayant perdu leur nationalité entre 1951 et 1973. Les descendants ne peuvent s’en prévaloir que si une décision a déjà reconnu que leur auteur a conservé la nationalité française à la suite de ce recours. Cette restriction prudente concilie la réparation des injustices passées avec la nécessité impérieuse de préserver la sécurité juridique des filiations nationales déjà établies.