Conseil constitutionnel, Décision n° 2013-678 DC du 14 novembre 2013

Le Conseil constitutionnel, par sa décision du 14 novembre 2013, s’est prononcé sur la conformité d’une loi organique modifiant le statut de la Nouvelle-Calédonie. Ce texte législatif vise à mettre en œuvre les orientations de l’accord de Nouméa tout en clarifiant le fonctionnement des institutions locales. Le Parlement a adopté définitivement cette loi le 31 octobre 2013 avant sa transmission automatique au juge constitutionnel pour un contrôle obligatoire. La question posée au Conseil concernait principalement l’extension du pouvoir de régulation locale et les modalités d’application du statut civil coutumier kanak. Le juge constitutionnel a déclaré l’ensemble des dispositions conformes, assortissant toutefois l’article vingt-cinq d’une réserve d’interprétation relative au droit applicable.

I. L’affirmation de l’autonomie institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie

A. La validation du pouvoir de régulation des autorités administratives locales

L’article premier de la loi soumise au contrôle autorise la Nouvelle-Calédonie à créer des autorités administratives indépendantes pour exercer des missions de régulation. Ces entités disposent désormais de pouvoirs de décision, de sanction et de règlement des différends dans les domaines relevant de la loi du pays. Le Conseil constitutionnel souligne que « le principe de la séparation des pouvoirs… ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative indépendante… puisse exercer un pouvoir de sanction ». Cette prérogative demeure toutefois strictement encadrée par le respect de la légalité des délits et des peines ainsi que des droits de la défense.

Le législateur organique a instauré des garanties spécifiques pour assurer l’indépendance et l’impartialité des membres composant ces nouvelles autorités de régulation. La nomination des membres est ainsi subordonnée à une audition publique et à une approbation par le congrès à la majorité des trois cinquièmes. Cette procédure garantit la neutralité des décisions prises par ces instances non juridictionnelles lors de l’exercice de leurs missions de puissance publique. Le juge constitutionnel valide ce dispositif qui renforce la capacité d’auto-organisation de la collectivité tout en préservant les libertés publiques fondamentales.

B. L’ajustement technique de la répartition des compétences matérielles

La loi organique clarifie également la distribution des pouvoirs entre l’État, la Nouvelle-Calédonie et les provinces dans plusieurs secteurs économiques et sociaux. Elle attribue notamment au congrès la compétence pour réglementer les éléments des terres rares par le biais de lois du pays. Cette précision permet d’éviter les conflits de compétences entre les différents échelons territoriaux concernant la gestion des ressources minières stratégiques. Le Conseil constitutionnel estime que ces modifications respectent l’équilibre institutionnel défini par l’accord de Nouméa de 1998 et la Constitution.

Les articles quatre et cinq précisent les domaines d’intervention respectifs en matière de droit civil, d’urbanisme, de chasse et de protection de l’environnement. L’État conserve sa compétence de principe sur le droit civil, sous réserve des spécificités provinciales liées à la préservation des écosystèmes naturels. Ce toilettage législatif sécurise l’action publique locale en limitant les incertitudes juridiques découlant des précédentes rédactions de la loi organique de 1999. Cette organisation rationnelle des compétences favorise une gestion administrative plus efficace au bénéfice des populations intéressées par l’évolution statutaire du territoire.

II. La préservation de la dualité juridictionnelle et du statut personnel

A. L’aménagement procédural du règlement des intérêts civils coutumiers

L’article vingt-cinq de la loi organique modifie les règles de procédure pénale applicables aux personnes relevant du statut civil coutumier kanak. La juridiction pénale de droit commun peut désormais statuer sur les intérêts civils suite à une infraction commise entre deux personnes de statut coutumier. Cette disposition simplifie le parcours des victimes qui n’ont plus l’obligation de saisir systématiquement une juridiction civile distincte pour obtenir réparation. Le législateur a toutefois maintenu un droit d’opposition permettant à l’une des parties d’exiger le renvoi devant le juge civil.

Ce mécanisme de renvoi obligatoire vers la juridiction civile assistée d’assesseurs coutumiers garantit le respect de la spécificité du statut personnel des justiciables. Le texte prévoit que cette décision de renvoi n’est susceptible d’aucun recours afin de ne pas allonger excessivement les délais de jugement. Cette réforme procède d’une volonté de concilier l’efficacité de la justice répressive avec la reconnaissance constitutionnelle des particularismes juridiques locaux. Le Conseil constitutionnel valide cette évolution procédurale tout en apportant une précision déterminante quant à l’office du juge pénal saisi.

B. L’obligation impérative de respecter la coutume devant le juge pénal

Le juge constitutionnel assortit sa décision d’une réserve d’interprétation capitale concernant l’application de la coutume par la juridiction pénale de droit commun. Il affirme que cette faculté nouvelle « n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de permettre à la juridiction pénale… de ne pas faire application de la coutume ». Le magistrat professionnel doit donc impérativement appliquer les règles coutumières lors de l’évaluation du préjudice et de l’octroi des dommages et intérêts. Cette exigence découle directement de l’article soixante-quinze de la Constitution protégeant le statut personnel des citoyens de la République.

La juridiction dispose de moyens techniques pour identifier la règle coutumière applicable, notamment par le recours à des expertises ou la consultation du conseil coutumier. Cette obligation de fond assure que le changement de juge n’entraîne pas une modification indue du droit applicable à la responsabilité civile. Le Conseil constitutionnel veille ainsi à ce que l’unité de la procédure pénale ne porte pas atteinte à la diversité des statuts civils. Cette décision confirme la valeur constitutionnelle de la coutume kanak dans le cadre de l’organisation judiciaire spécifique à la Nouvelle-Calédonie.

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Hassan KOHEN
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