Par une décision rendue le 5 décembre 2014, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution du deuxième alinéa de l’article L. 30 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Cette disposition régit l’attribution d’une majoration de pension aux anciens agents publics nécessitant l’assistance constante d’une tierce personne pour les actes ordinaires de la vie. Un requérant contestait le fait que ce bénéfice soit réservé aux fonctionnaires radiés pour invalidité ou atteints d’une maladie professionnelle reconnue après leur départ. Le Conseil d’État a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité afin de vérifier le respect du principe d’égalité devant la loi garanti par la Déclaration de 1789. Le demandeur soutenait que l’exclusion des agents ayant opté pour une retraite anticipée en raison d’un handicap constituait une discrimination injustifiée. La question posée était de savoir si la différence de conditions d’accès à cet avantage pécuniaire méconnaissait l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les juges du Palais-Royal ont déclaré la disposition contestée conforme en retenant l’existence de situations juridiques distinctes entre les diverses catégories de retraités. L’analyse de cette décision commande d’examiner la distinction établie entre les modes de départ à la retraite, avant d’apprécier la validité du renvoi aux dispositifs sociaux de droit commun.
I. La reconnaissance d’une différence de situation objective entre les pensionnés
A. La distinction fondée sur le caractère volontaire du départ à la retraite
Le Conseil constitutionnel fonde son raisonnement sur une analyse rigoureuse des modalités de cessation définitive des fonctions au sein de la fonction publique. Il relève que « les fonctionnaires qui ont été contraints de prendre une retraite anticipée » pour invalidité se trouvent dans une position spécifique. Cette situation d’éviction subie diffère fondamentalement de celle des agents ayant « volontairement pris leur retraite » sur le fondement d’un droit à l’anticipation. Le législateur a entendu compenser une rupture de carrière imposée par une altération irrémédiable de la santé rendant impossible la poursuite de toute activité. L’invalidité constatée par l’administration entraîne une radiation d’office qui justifie l’octroi de garanties financières particulières destinées à pallier la perte précoce de traitement.
B. L’étanchéité des régimes de retraite anticipée et d’invalidité professionnelle
La haute juridiction souligne que le bénéfice de la majoration pour tierce personne est intrinsèquement lié au régime spécifique des pensions d’invalidité. Les agents ayant sollicité un départ anticipé pour handicap ont liquidé leurs droits alors qu’ils étaient encore en mesure de « poursuivre leur activité professionnelle ». Cette faculté de choix entre le maintien en service et le départ en retraite place ces agents hors du champ de la réparation de l’inaptitude. La majoration spéciale ne constitue pas un droit universel lié au seul état de dépendance mais un accessoire d’une pension de nature indemnitaire. Dès lors, le refus d’étendre ce dispositif aux retraités volontaires ne saurait être analysé comme une méconnaissance des réalités biologiques de la perte d’autonomie. Cette différence de situation objective justifie alors l’application d’un cadre juridique distinct dont la constitutionnalité doit être précisée au regard des objectifs législatifs.
II. La validation de la différence de traitement au regard du principe d’égalité
A. L’existence d’un rapport direct entre l’exclusion et l’objet de la norme
Le principe d’égalité n’impose pas une uniformité de traitement lorsque le législateur règle des situations différentes pour des motifs d’intérêt général clairement identifiés. Le Conseil constitutionnel estime que la différence de traitement résultant de l’article L. 30 est « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». La majoration spéciale vise prioritairement à protéger les agents dont le handicap ou la maladie est la cause directe et unique de la fin de carrière. En réservant cet avantage aux victimes d’aléas professionnels ou d’invalidités totales, le législateur respecte la finalité de solidarité spécifique au régime des pensions civiles. L’exclusion des fonctionnaires handicapés ayant opté pour un départ anticipé ne constitue donc pas une rupture d’égalité car ils conservent leur statut de retraités de droit commun.
B. La licéité du renvoi subsidiaire au code de l’action sociale et des familles
Le juge constitutionnel précise que l’absence de majoration au titre du code des pensions ne prive pas les intéressés de toute forme de protection sociale. Il souligne que « s’appliquent, pour les autres fonctionnaires retraités atteints d’un handicap, les règles de droit commun » prévues par le législateur pour l’ensemble des citoyens. Ce renvoi aux prestations compensatrices du code de l’action sociale et des familles permet d’assurer une couverture des besoins liés à l’assistance d’une tierce personne. La solidarité nationale prend ainsi le relais de la solidarité professionnelle lorsque le besoin d’aide survient en dehors d’une radiation des cadres pour invalidité. Le Conseil constitutionnel confirme ainsi que le législateur peut valablement articuler différents systèmes de protection sociale sans porter atteinte aux exigences constitutionnelles de justice.