Par la décision n° 2014-706 DC du 18 décembre 2014, le Conseil constitutionnel a statué sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. Ce texte législatif a été déféré au juge constitutionnel par plusieurs membres du Parlement après son adoption définitive. Les requérants contestaient particulièrement l’article 85 instaurant une modulation des allocations familiales selon les ressources des foyers bénéficiaires de ces aides. Ils dénonçaient également l’article 12 qui renvoyait au décret la fixation du taux d’une cotisation finançant le fonds national d’aide au logement. Les auteurs de la saisine invoquaient une rupture d’égalité devant la loi et une méconnaissance de l’exigence constitutionnelle de solidarité envers la famille. Ils soutenaient que le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence en déléguant des prérogatives fiscales essentielles à l’autorité réglementaire. La question posée était de savoir si la différenciation des prestations sociales par le revenu respectait les principes de solidarité nationale et d’égalité. Le Conseil constitutionnel valide la modulation sous réserve d’interprétation, mais il censure les dispositions fiscales pour incompétence négative du législateur. L’examen de cette décision permet d’analyser l’évolution du modèle de protection sociale puis la rigueur du contrôle exercé sur la compétence législative.
I. La consécration de la modulation des prestations familiales
La validation de la réforme repose sur une redéfinition de l’égalité avant d’être conciliée avec les principes fondamentaux de la solidarité nationale.
A. La fin de l’universalité absolue des allocations
L’article 85 prévoit que « le montant des allocations familiales varie en fonction du nombre d’enfants à charge et des ressources du ménage ». Le juge écarte le grief de rupture d’égalité car cette différence de traitement est en lien direct avec l’objectif poursuivi par la loi. Il estime que les familles disposant de revenus différents ne se trouvent pas dans la même situation au regard de la politique sociale. Cette approche substitue une logique de justice distributive à l’ancien principe d’universalité qui garantissait un montant identique pour chaque enfant.
B. La préservation encadrée des garanties constitutionnelles
Le Conseil constitutionnel rappelle que le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 impose une politique de solidarité nationale envers la famille. Le législateur peut modifier les aides mais il ne saurait « aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ». Le juge émet une réserve d’interprétation pour empêcher que le pouvoir réglementaire ne fixe des plafonds de ressources trop restrictifs pour les foyers. Cette décision sécurise la réforme tout en maintenant un contrôle minimal sur l’effectivité de la protection sociale garantie aux familles par la Constitution.
II. Le rappel strict du domaine de la loi
La protection des droits sociaux nécessite une surveillance étroite de la compétence législative en matière fiscale ainsi qu’une discipline budgétaire rigoureuse.
A. La sanction de l’incompétence négative du législateur
L’article 12 de la loi est déclaré contraire à la Constitution parce qu’il renvoie au décret la fixation du taux de la cotisation logement. Le Conseil constitutionnel juge que cette cotisation constitue une imposition de toutes natures au sens de l’article 34 de la Constitution française. Le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence en ne prévoyant « aucun encadrement de la détermination de ces taux » par l’autorité réglementaire. Cette censure sanctionne l’abandon par le Parlement de sa prérogative exclusive de déterminer les éléments essentiels du prélèvement obligatoire.
B. L’éviction rigoureuse des cavaliers sociaux
Le juge soulève d’office l’inconstitutionnalité de l’article 16 relatif aux recours des organismes d’assurance maladie complémentaire contre les tiers responsables d’accidents corporels. Cette disposition ne présente pas d’effet direct sur les dépenses ou les recettes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. La mesure « n’a pas d’effet sur les dépenses des régimes obligatoires de base » et ne peut donc figurer dans ce texte financier. Elle est qualifiée de cavalier social car elle n’a pas sa place dans une loi de financement selon les critères de la loi organique. Le Conseil constitutionnel garantit ainsi la pureté formelle des lois financières en excluant les réformes dépourvues d’un impact budgétaire immédiat et certain.