Par sa décision n° 2015-458 QPC du 26 mars 2015, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de dispositions relatives au financement de la couverture maladie universelle. Plusieurs groupements de travailleurs contestaient les modalités d’assujettissement à une cotisation de sécurité sociale assise sur l’ensemble des revenus du foyer fiscal. Les requérants invoquaient principalement une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, ainsi qu’une atteinte à la liberté contractuelle. Les sages de la rue de Montpensier devaient déterminer si l’obligation d’affiliation au régime général et l’assiette retenue respectaient les exigences constitutionnelles. Le Conseil a déclaré les dispositions conformes sous plusieurs réserves d’interprétation importantes concernant le calcul des ressources et l’assiette de la cotisation.
**I. L’affinement du régime de contribution au titre de la résidence**
**A. La conformité sous réserve du plafond d’exonération**
Le Conseil constitutionnel a d’abord examiné l’article L. 380-2 du code de la sécurité sociale qui prévoit une cotisation pour les personnes affiliées sur critère de résidence. Les juges rappellent que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ». La différence de traitement entre assurés selon leur mode d’affiliation est jugée inhérente aux « modalités selon lesquelles s’est progressivement développée l’assurance maladie en France ». Cette approche pragmatique permet de valider le système de contribution spécifique sans remettre en cause la diversité historique des régimes sociaux.
Toutefois, cette validation n’est pas inconditionnelle et le pouvoir réglementaire se voit imposer un cadre strict pour la fixation des seuils financiers. Le Conseil précise qu’il appartient au gouvernement de fixer le plafond de ressources de façon à respecter les exigences du Préambule de 1946. En formulant cette réserve, le juge constitutionnel veille à ce que la cotisation ne devienne pas une charge excessive pour les revenus modestes. L’équilibre entre la solidarité nationale et la capacité contributive des individus demeure ainsi le pivot central du contrôle de constitutionnalité.
**B. L’irrecevabilité des dispositions non appliquées**
L’analyse juridique s’est également portée sur l’assiette de la cotisation incluant les éléments de train de vie et les moyens d’existence. Le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions réglementaires nécessaires à l’évaluation de ces éléments n’avaient jamais été adoptées par le pouvoir exécutif. Par conséquent, ces mesures « qui ne sont jamais entrées en vigueur, sont insusceptibles d’avoir porté atteinte à un droit ou une liberté ». Cette décision souligne l’importance de l’effectivité de la norme législative pour qu’elle puisse faire l’objet d’un contrôle par voie de QPC.
L’impossibilité de contester des dispositions inapplicables protège la cohérence du système juridique en évitant des débats doctrinaux sur des textes dépourvus d’effets concrets. Le Conseil a néanmoins accepté de réexaminer les critères classiques du revenu fiscal de référence en raison de l’élargissement successif de cette assiette. Ce changement des circonstances de droit justifie une nouvelle analyse des dispositions déjà déclarées conformes lors de l’examen de la loi de 1999. Le juge adapte ainsi son contrôle aux évolutions législatives qui modifient substantiellement la portée des obligations financières pesant sur les assurés.
**II. L’encadrement constitutionnel de l’affiliation des travailleurs frontaliers**
**A. La primauté de la solidarité nationale sur la liberté contractuelle**
Le litige concernait aussi la situation des travailleurs frontaliers résidant en France mais travaillant en Suisse, soumis obligatoirement au régime général d’assurance maladie. Les requérants dénonçaient l’obligation de résilier des contrats d’assurance privée souscrits antérieurement, y voyant une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle découlant de la Déclaration de 1789. Le Conseil constitutionnel écarte ce grief en soulignant que le législateur peut limiter cette liberté pour des motifs d’intérêt général suffisants. Il considère que la fin des régimes privés est justifiée par la « mutualisation des risques dans le cadre d’un régime de sécurité sociale ».
Cette prééminence du système solidaire sur les arrangements contractuels privés s’inscrit dans la volonté de généraliser la protection sociale sur le territoire national. Le juge estime que la période transitoire accordée aux frontaliers a permis une adaptation progressive à la nouvelle législation en vigueur. L’intérêt général attaché à la solidarité nationale l’emporte donc sur les intérêts particuliers des résidents ayant opté pour une couverture privée. La décision renforce ainsi le monopole du régime général pour les résidents ne relevant pas d’un autre titre d’affiliation obligatoire.
**B. La protection contre la double cotisation au sein du foyer fiscal**
La question de l’assiette de la cotisation des frontaliers, assise sur le revenu fiscal de référence, a nécessité une réserve d’interprétation cruciale. Le Conseil admet que l’assiette peut être différente de celle des salariés travaillant en France, car ces derniers supportent déjà des cotisations patronales. Cependant, l’utilisation du revenu fiscal de référence inclut par nature l’ensemble des revenus des membres du foyer fiscal de l’assuré. Les sages relèvent que les autres membres du foyer peuvent déjà acquitter des cotisations sociales au titre de leur propre activité professionnelle.
Pour éviter une rupture d’égalité devant les charges publiques, le Conseil précise que l’assiette ne saurait inclure des revenus déjà soumis à cotisation. Il affirme que la cotisation des frontaliers « ne saurait (…) inclure des revenus du foyer fiscal qui ont déjà été soumis à une cotisation ». Cette réserve garantit que la solidarité nationale ne se transforme pas en une double imposition sociale inéquitable pour une même famille. Le juge concilie ainsi l’objectif de financement de la protection sociale avec le respect des facultés contributives réelles des citoyens.