Par la décision n° 2015-495 QPC du 20 octobre 2015, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de l’article L. 134-1 du code de la sécurité sociale. Plusieurs requérants ont contesté les modalités de calcul des transferts financiers opérés entre les régimes obligatoires de base d’assurance vieillesse des salariés et des non-salariés. Cette compensation, visant à corriger les déséquilibres démographiques, ne tenait pas compte des disparités de capacités contributives entre les différents secteurs socio-professionnels concernés par le dispositif.
La question prioritaire de constitutionnalité fut transmise par le Conseil d’État afin de vérifier si l’absence de pondération par les facultés contributives méconnaissait les principes d’égalité. Les requérants invoquaient une rupture d’égalité devant la loi et les charges publiques, ainsi qu’une incompétence négative du législateur et une atteinte à la sécurité juridique. Ils estimaient que la solidarité entre régimes devait nécessairement intégrer la richesse relative des cotisants pour respecter l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le problème de droit soumis aux sages de la rue de Montpensier consistait à déterminer si un mécanisme de compensation strictement démographique entre régimes de retraite distincts heurtait les garanties constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel a conclu à la conformité des dispositions critiquées, rejetant l’intégralité des griefs soulevés par les parties au cours de l’instance.
**I. L’affirmation de la spécificité des mécanismes de compensation inter-régimes**
**A. La justification historique de la dualité des critères de solidarité**
Le Conseil souligne que la compensation entre les régimes de salariés diffère de celle organisée entre l’ensemble des salariés et les régimes de non-salariés. Pour écarter la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, la juridiction précise que « cette différence de traitement… est inhérente aux modalités selon lesquelles s’est progressivement développée l’assurance-vieillesse en France ». Les régimes de sécurité sociale se sont constitués de manière autonome, créant ainsi des situations socio-professionnelles objectivement distinctes pour les assurés.
La haute juridiction valide la faculté pour le législateur de traiter différemment ces régimes sans violer l’article 6 de la Déclaration de 1789. La diversité des structures sociales et professionnelles justifie que la solidarité nationale emprunte des voies variées selon la catégorie de travailleurs visée par la norme législative. Les juges constitutionnels considèrent que cette hétérogénéité constitue un motif raisonnable pour maintenir des règles de péréquation spécifiques à chaque branche du système de protection sociale.
**B. La validation constitutionnelle de la péréquation démographique**
Le critère retenu par le législateur pour organiser la compensation entre les régimes de salariés et de non-salariés repose exclusivement sur des bases démographiques. En examinant le grief tiré de l’égalité devant les charges publiques, le Conseil juge que « le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en lien avec l’objectif poursuivi ». La neutralisation des déséquilibres financiers liés au rapport entre cotisants et retraités constitue un but d’intérêt général suffisant pour valider ce choix technique.
L’absence de prise en compte des capacités contributives ne constitue pas une erreur manifeste dès lors que le système repose sur un principe de répartition. Les sages ajoutent que ces dispositions « n’entraînent pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques », préservant ainsi la marge de manœuvre du pouvoir législatif. L’efficacité du système de retraite par répartition dépend de cette capacité à rééquilibrer les flux financiers sans imposer une uniformité totale des mécanismes de calcul.
**II. L’encadrement rigoureux du contrôle des principes d’égalité et de compétence**
**A. Le rejet de l’incompétence négative par l’identification de dispositions non normatives**
Les requérants soutenaient que le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence en ne définissant pas assez précisément le terme de la compensation démographique. Le Conseil écarte ce grief en analysant la portée réelle des termes employés à l’article L. 134-1 du code de la sécurité sociale concernant l’impossibilité de définir les capacités. Il estime que ces dispositions « sont dépourvues de toute portée normative et ne sauraient confier au pouvoir réglementaire la faculté de décider » d’une éventuelle modification future.
Cette interprétation permet de neutraliser le reproche d’incompétence négative en vidant de sa substance juridique une simple mention explicative insérée dans le texte législatif. Le législateur a épuisé sa compétence en fixant le critère démographique, sans déléguer illégalement ses prérogatives à l’administration ou au pouvoir réglementaire pour l’avenir. Le principe de clarté de la loi est ainsi respecté, car les obligations pesant sur les régimes de sécurité sociale demeurent parfaitement identifiables par les administrés.
**B. La préservation de l’équilibre financier des systèmes de retraite par répartition**
La décision confirme que la solidarité nationale peut légitimement s’exercer par le biais de transferts financiers visant à compenser les seules évolutions de la population active. En déclarant les dispositions conformes, les juges confortent la pérennité du système de financement de l’assurance vieillesse sans imposer de nouvelles contraintes de péréquation économique. Cette solution offre une sécurité juridique indispensable aux organismes de sécurité sociale chargés de gérer les flux de trésorerie entre les différentes caisses professionnelles.
Le Conseil constitutionnel refuse d’ériger la prise en compte des capacités contributives en une obligation constitutionnelle absolue dans le cadre des relations entre régimes distincts. La décision protège ainsi les arbitrages budgétaires effectués par le Parlement lors du vote des lois de financement de la sécurité sociale chaque année. La stabilité des mécanismes de compensation généralisée est assurée, évitant une remise en cause globale des équilibres financiers qui soutiennent l’ensemble du modèle social français.