Conseil constitutionnel, Décision n° 2015-507 QPC du 11 décembre 2015

Le Conseil constitutionnel, par une décision rendue le 11 décembre 2015, a examiné la conformité de dispositions du code de l’énergie encadrant la distribution pétrolière outre-mer. La loi du 18 juin 2014 impose aux entreprises du secteur, dans certaines collectivités, de maintenir une activité minimale lors de décisions concertées d’interruption de service. Un plan de prévention, arrêté par le représentant de l’État, désigne nommément des détaillants devant assurer les besoins de la population et de l’activité économique. Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité, la juridiction devait déterminer si ces contraintes portent une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre et au droit de grève. Les requérants soutenaient que l’interdiction d’interrompre l’activité privait les gérants, qu’ils soient salariés ou indépendants, de l’exercice effectif de leurs droits fondamentaux. Le Conseil constitutionnel écarte ces griefs en soulignant la nécessité de préserver l’ordre public économique tout en constatant le caractère proportionné des limitations imposées.

I. La conciliation entre les libertés professionnelles et l’ordre public économique

A. L’encadrement législatif des interruptions concertées d’activité

Les dispositions de l’article L. 671-2 du code de l’énergie instaurent un régime restrictif pour les entreprises pétrolières soumises à une réglementation des prix. Le législateur dispose que les exploitants « ne peuvent décider d’interrompre leur activité de distribution que dans les conditions fixées au présent article ». Cette mesure vise spécifiquement les situations de décisions concertées visant à cesser le service, en dehors des cas de grève des salariés. Le texte impose la création d’un plan de prévention garantissant la livraison de produits pétroliers pour « au moins un quart des détaillants » du réseau. En soumettant ces entreprises à une obligation de continuité, la loi limite directement leur autonomie de gestion et leur liberté de manifester des revendications professionnelles. Cette entrave à la liberté d’entreprendre se double d’une possible réquisition administrative par le représentant de l’État en cas de refus d’approvisionnement constaté.

B. La sauvegarde de l’intérêt général comme justification des restrictions

Le Conseil constitutionnel valide ces limitations en se fondant sur l’objectif de « prévenir les dommages pour l’activité économique de certaines collectivités d’outre-mer ». Il identifie ainsi un « motif d’intérêt général de préservation de l’ordre public économique » pour justifier l’atteinte aux principes constitutionnels invoqués. Cette notion d’ordre public économique permet au législateur d’intervenir dans les mécanismes du marché pour protéger la collectivité contre des blocages systémiques. La juridiction rappelle que la liberté d’entreprendre n’est pas absolue et peut subir des restrictions liées à des exigences constitutionnelles ou à l’intérêt général. La continuité de l’approvisionnement en énergie constitue ici un impératif supérieur à la faculté des exploitants de cesser volontairement leur exploitation. L’équilibre ainsi recherché par le juge constitutionnel repose sur la vulnérabilité particulière des territoires concernés face à une rupture de flux essentiels.

II. La proportionnalité rigoureuse des contraintes administratives imposées

A. L’aménagement des garanties préservant l’exercice des droits fondamentaux

Le juge vérifie que les mesures ne portent pas une « atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi » par le législateur. Il relève que l’interdiction d’interrompre l’activité ne s’applique pas lorsque cette décision est « justifiée par la grève de leurs salariés ou par des circonstances exceptionnelles ». Cette réserve protège le droit de grève constitutionnel en évitant que les obligations de service ne vident de sa substance le conflit social collectif. Pour les gérants salariés, le Conseil estime que les dispositions n’apportent pas une « limitation excessive à l’exercice du droit de grève » dans leur relation subordonnée. Le mécanisme de réquisition est strictement encadré et ne concerne que les points de vente préalablement identifiés dans le plan de prévention départemental. L’existence de ces clauses d’exception garantit que la contrainte administrative demeure l’ultime recours pour assurer le fonctionnement minimal de l’économie locale.

B. Une application territorialisée conforme aux particularités de l’outre-mer

La portée de la décision s’inscrit dans le cadre spécifique des collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et de certaines collectivités d’outre-mer. Le Conseil note que le représentant de l’État doit veiller à ce que le plan soit « adapté aux contraintes propres de la collectivité d’outre-mer concernée ». Cette exigence d’adaptation permet d’ajuster la liste des détaillants réquisitionnables en fonction de la géographie et des besoins réels de chaque territoire. La décision souligne que le secteur pétrolier y fait l’objet d’une réglementation des prix, justifiant un contrôle accru de la part de la puissance publique. En déclarant les dispositions conformes, le Conseil confirme la validité d’un régime d’exception fondé sur l’isolement géographique et la dépendance énergétique. La solution retenue consacre la primauté de la sécurité des approvisionnements sur la liberté contractuelle des distributeurs dans des contextes économiques fragiles.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture