Le Conseil constitutionnel a rendu, le 8 janvier 2016, une décision relative à la conformité de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881. Ce texte réprime la contestation des crimes contre l’humanité commis durant la seconde guerre mondiale tels que définis par le statut du tribunal de Nuremberg. La juridiction suprême était saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’éventuelle méconnaissance de la liberté d’expression et du principe d’égalité.
Un justiciable, poursuivi pénalement sur ce fondement, contestait la constitutionnalité de cette incrimination spécifique au regard des droits et libertés garantis par la Constitution. La Cour de cassation a rendu, le 6 octobre 2015, un arrêt de renvoi permettant au Conseil constitutionnel d’apprécier la validité de la norme contestée. Le requérant soutenait que la loi portait une atteinte disproportionnée à la communication des pensées tout en instaurant une discrimination entre les victimes.
Le problème juridique posé résidait dans la conciliation entre la liberté fondamentale d’expression et la nécessité de réprimer des abus portant atteinte à l’ordre public. Le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition conforme, estimant que la répression de tels propos constitue une mesure nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi. L’analyse de cette décision suppose d’envisager l’encadrement proportionné de la liberté de communication avant d’étudier la validité constitutionnelle de la distinction entre les crimes.
I. L’encadrement proportionné de la liberté de communication
A. La caractérisation de l’abus de la liberté d’expression
Le Conseil rappelle que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ». Cette liberté n’est toutefois pas absolue et peut faire l’objet de restrictions législatives pour garantir l’ordre public et les droits des tiers. La juridiction considère que la contestation de faits qualifiés de crimes contre l’humanité par une instance internationale constitue « une incitation au racisme et à l’antisémitisme ». L’incrimination de ces propos vise à sanctionner un abus manifeste qui porte une atteinte grave à la dignité des personnes et à la tranquillité publique. Le législateur peut ainsi édicter des règles réprimant des discours qui, par leur nature même, troublent l’équilibre social et les principes démocratiques.
B. La préservation du débat historique et de l’ordre public
L’atteinte portée à la liberté d’expression doit demeurer « nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi » par le texte de loi. Le Conseil précise que l’interdiction se limite à la négation ou à la minoration outrancière des crimes commis pendant la seconde guerre mondiale. Les dispositions critiquées « n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire les débats historiques » relatifs à cette période sombre de l’humanité. Cette précision jurisprudentielle garantit que la recherche scientifique et la libre discussion savante ne sont pas entravées par la répression pénale. La solution retenue assure donc une protection efficace contre les discours de haine sans pour autant instaurer une censure générale sur l’histoire. La protection de la liberté d’expression étant ainsi conciliée avec l’ordre public, l’examen de la validité constitutionnelle de la distinction des crimes s’impose.
II. La validité constitutionnelle de la distinction entre les crimes
A. La reconnaissance de situations juridiques distinctes
Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi pénale est écarté par une analyse minutieuse des situations de fait. Le Conseil énonce que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » conformément à la Déclaration de 1789. Une différence de traitement est néanmoins admise lorsque le législateur se fonde sur des agissements de nature différente pour définir une infraction pénale. La négation de crimes constatés par une décision de justice se distingue objectivement de la contestation de faits qualifiés uniquement par la loi. Cette distinction repose sur le respect de l’autorité de la chose jugée par des tribunaux français ou internationaux reconnus par la France.
B. La cohérence de la politique criminelle contre le racisme
La juridiction constitutionnelle souligne que la négation des crimes commis durant la seconde guerre mondiale possède « par elle-même une portée raciste et antisémite ». Cette spécificité justifie un traitement pénal particulier en rapport étroit avec l’objet de la loi tendant à réprimer l’acte raciste ou xénophobe. Le législateur a donc pu valablement limiter la répression à cette catégorie précise d’agissements sans violer le principe d’égalité devant la justice. La décision confirme la constitutionnalité des lois mémorielles lorsqu’elles s’appuient sur un constat judiciaire préalable et visent la protection de l’ordre public. La portée de cet arrêt réside enfin dans la validation d’une hiérarchisation des discours négationnistes fondée sur la réalité des poursuites judiciaires.