Conseil constitutionnel, Décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 22 décembre 2015, une décision essentielle portant sur la conformité de la loi relative à l’état d’urgence. Le litige concernait spécifiquement les pouvoirs accrus de l’autorité administrative en matière de restrictions de circulation imposées à des citoyens.

À la suite de la prorogation de l’état d’urgence en novembre 2015, plusieurs individus ont fait l’objet de mesures d’assignation à résidence contraignantes. Ces administrés ont contesté la constitutionnalité des dispositions permettant d’imposer une présence obligatoire au domicile durant douze heures quotidiennes.

Les requérants invoquaient une violation de l’article 66 de la Constitution, considérant que la police administrative exerçait une compétence dévolue normalement à l’autorité judiciaire. Ils dénonçaient également une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir ainsi qu’au droit de mener une vie familiale normale.

La juridiction constitutionnelle devait déterminer si le régime administratif de l’assignation à résidence, assorti d’une astreinte à domicile, constituait une privation de liberté individuelle. Le juge devait ainsi arbitrer entre les nécessités de l’ordre public et la protection constitutionnelle des libertés fondamentales des citoyens.

Les sages ont décidé que ces mesures « ne comportent pas de privation de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution ». L’assignation demeure conforme sous réserve que l’astreinte ne dépasse pas douze heures par jour et qu’elle soit soumise au contrôle effectif du juge administratif.

Cette analyse conduit à examiner d’abord la qualification juridique de l’assignation à résidence comme simple restriction de circulation, avant d’aborder les garanties entourant la mise en œuvre de ce pouvoir.

I. La qualification de l’assignation à résidence comme simple restriction de circulation

Le Conseil constitutionnel distingue la privation de liberté de la simple restriction à la liberté d’aller et de venir pour valider le dispositif législatif. Il fonde son raisonnement sur la nature exclusivement préventive de la mesure prise par le représentant de l’État.

A. L’exclusion de la compétence protectrice de l’autorité judiciaire

Le juge constitutionnel affirme que l’assignation « est une mesure qui relève de la seule police administrative et qui ne peut donc avoir d’autre but que de prévenir les infractions ». Cette qualification juridique permet d’écarter l’application stricte de l’article 66 de la Constitution réservé aux seules détentions arbitraires.

En jugeant que les dispositions « ne comportent pas de privation de la liberté individuelle », le Conseil limite l’intervention du juge judiciaire aux seules mesures privatives de liberté. Il considère que le législateur a respecté sa compétence en définissant un régime de police préventive sans créer de régime carcéral déguisé.

B. Le seuil temporel de douze heures comme critère de constitutionnalité

La décision pose une limite précise en énonçant que la plage horaire maximale d’astreinte à domicile « ne saurait être allongée sans que l’assignation soit regardée comme une mesure privative ». Ce seuil de douze heures quotidiennes marque la frontière entre la restriction de circulation et la privation effective de liberté.

Le maintien de ce plafond temporel constitue une réserve d’interprétation stricte imposée par le juge pour garantir la constitutionnalité de la loi du 3 avril 1955. Au-delà de cette durée, la mesure basculerait nécessairement sous la protection de l’autorité judiciaire, gardienne traditionnelle de la liberté individuelle.

II. Les garanties entourant l’exercice d’un pouvoir de police administrative exceptionnel

L’admission de la constitutionnalité du texte repose sur l’existence de conditions de fond rigoureuses et sur la possibilité d’un recours effectif devant la juridiction administrative. Le juge veille à ce que l’exceptionnel ne devienne pas arbitraire.

A. L’exigence de motifs sérieux liés à la menace pour l’ordre public

L’administration doit justifier l’existence de « raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » pour prononcer une mesure. Cette exigence de motivation factuelle interdit toute décision fondée sur de simples suspicions vagues ou des considérations purement générales.

Le Conseil souligne que le comportement de l’individu doit être directement lié au péril imminent ayant justifié la déclaration préalable de l’état d’urgence. Cette condition de fond assure que l’atteinte à la liberté d’aller et de venir demeure strictement nécessaire aux objectifs de prévention des troubles.

B. La soumission de la mesure au contrôle de proportionnalité du juge administratif

Le juge administratif est explicitement « chargé de s’assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit » lors de chaque contentieux. Ce contrôle approfondi permet de vérifier que la durée et les conditions d’application de l’assignation ne sont pas excessives.

L’existence de recours effectifs, notamment par la voie du référé-liberté, garantit le respect des droits de la défense pour chaque citoyen faisant l’objet d’une mesure. Le Conseil constitutionnel confirme ainsi que l’état d’urgence ne saurait priver les individus des garanties juridictionnelles fondamentales contre les actes de l’administration.

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Hassan KOHEN
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