Le Conseil constitutionnel a rendu, le 5 mars 2015, la décision n° 2015-709 DC portant sur la loi autorisant l’accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire. Cette saisine intervient après qu’une précédente censure constitutionnelle eut remis en cause les pratiques de répartition non proportionnelle au sein des établissements publics de coopération intercommunale. Des parlementaires ont déféré ce texte au juge constitutionnel, arguant que les nouvelles dispositions portaient atteinte au principe d’égalité devant le suffrage et à l’autorité des décisions précédentes. Le litige repose sur la faculté laissée aux communes de s’écarter, par un accord à majorité qualifiée, des règles de répartition de droit commun. Il appartenait donc au Conseil constitutionnel de déterminer si le législateur pouvait autoriser une modularité locale tout en respectant l’exigence de proportionnalité démographique découlant de la Constitution. Le juge valide le dispositif législatif mais l’assortit de réserves d’interprétation strictes pour garantir que les écarts de représentation demeurent limités et cohérents. L’étude de cette décision impose d’analyser d’abord l’encadrement légal du réalisme démographique avant d’aborder la conciliation opérée entre souplesse locale et impératif d’égalité.
I. Le réalisme démographique encadré par la loi
A. L’affirmation du principe de proportionnalité démographique
Le Conseil constitutionnel rappelle avec fermeté que les organes délibérants des groupements de communes doivent être élus sur des « bases essentiellement démographiques » pour être conformes. Cette exigence découle directement des articles 3 et 72 de la Constitution, ainsi que de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La répartition des sièges doit donc respecter un « principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque collectivité territoriale membre » de l’établissement public.
Cette jurisprudence classique impose que chaque conseiller représente un nombre de citoyens approximativement équivalent afin de garantir l’égale influence de chaque électeur sur le scrutin. Le législateur ne saurait donc autoriser une répartition arbitraire qui ignorerait le poids réel des communes les plus peuplées au sein de l’intercommunalité. En validant l’accord local, le juge s’assure que la population municipale authentifiée reste le critère pivot de toute distribution de sièges entre les membres.
B. Les tempéraments légitimes à l’égalité arithmétique
Si la démographie est le critère central, le juge constitutionnel admet qu’il puisse être tenu compte de « considérations d’intérêt général » dans une mesure toutefois limitée. Le législateur a ainsi prévu que chaque commune dispose d’au moins un siège et qu’aucune ne puisse détenir seule plus de la moitié des mandats. Ces dérogations visent à assurer la représentation effective de chaque entité territoriale tout en évitant l’hégémonie politique d’une seule commune sur l’organe communautaire.
Le Conseil constitutionnel valide ces ajustements car ils répondent à des objectifs de cohésion territoriale et de bon fonctionnement des institutions locales sans dénaturer le principe d’égalité. Ces garde-fous structurels permettent de maintenir un pluralisme au sein des conseils communautaires, condition nécessaire à une libre administration des collectivités territoriales qui soit équilibrée. La loi parvient ainsi à concilier la rigueur du chiffre démographique avec les nécessités pratiques de la coopération intercommunale moderne.
II. La conciliation délicate entre souplesse locale et impératif d’égalité
A. L’encadrement strict des écarts de représentation
L’accord local introduit par la loi permet de déroger aux règles de droit commun sous réserve que l’écart de représentation ne dépasse pas un certain seuil. Le législateur a fixé à 20 % la limite de variation autorisée entre la part des sièges attribuée et la proportion de la population communale. Le juge constitutionnel considère que ce « tunnel » de variation permet une souplesse politique sans pour autant rompre le lien substantiel entre population et représentation.
Cette marge de manœuvre est toutefois encadrée par le fait que l’accord doit être conclu à une majorité qualifiée des conseils municipaux concernés. Le Conseil souligne que ces mécanismes de correction visent à compenser les effets parfois rigides de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. L’objectif demeure la réduction des disparités excessives qui pourraient naître d’une application purement mécanique des règles de calcul électoral dans des contextes démographiques hétérogènes.
B. La réserve d’interprétation garante de la cohérence du suffrage
Le point le plus sensible de la décision concerne la faculté d’attribuer un second siège à certaines communes pour améliorer leur représentation. Le juge émet une réserve d’interprétation capitale en précisant que cette attribution ne saurait être réservée à quelques communes seulement au détriment d’autres. Une telle attribution ne peut s’opérer sans « méconnaître le principe d’égalité devant le suffrage » si elle exclut des communes dont la population serait égale ou supérieure.
Par cette exigence, le Conseil constitutionnel interdit toute discrimination arbitraire lors de la phase de négociation de l’accord local entre les communes membres. La liberté contractuelle des collectivités est ainsi bridée par l’obligation de traiter de manière identique toutes les communes se trouvant dans une situation démographique comparable. Cette réserve garantit que la recherche d’un consensus local ne se traduise jamais par des privilèges de représentation au profit de certains territoires.