Le Conseil constitutionnel a rendu, le 1er avril 2016, une décision relative à la constitutionnalité de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. Cette disposition fixe le régime de responsabilité des professionnels de santé en cas d’infections nosocomiales contractées lors d’un acte de soins. Un patient a contracté une telle infection à l’occasion d’examens pratiqués au sein d’un cabinet de radiologie libéral par un praticien indépendant. Ayant engagé une action en réparation, le requérant a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité devant les juridictions civiles avant sa transmission par la Cour de cassation. Il soutenait que la loi créait une discrimination injustifiée entre les soins prodigués en établissement et ceux réalisés par des professionnels exerçant en ville. Le requérant reprochait au législateur d’imposer la preuve d’une faute pour les soins de ville alors que les hôpitaux répondent de plein droit des dommages. La haute juridiction devait déterminer si cette différence de traitement méconnaissait l’égalité devant la loi garantie par l’article 6 de la Déclaration de 1789. Les juges ont déclaré la disposition conforme car la prévalence des risques hospitaliers constitue un critère de distinction à la fois objectif et rationnel. La dualité des régimes de responsabilité instaurée par la loi repose sur une spécificité des risques hospitaliers validée par le juge constitutionnel.
I. L’affirmation d’une dualité de régimes de responsabilité civile
A. La distinction entre le régime de plein droit et la responsabilité pour faute Le législateur a instauré deux régimes de responsabilité distincts selon le cadre institutionnel dans lequel les actes médicaux sont dispensés aux patients. Les établissements de santé sont tenus pour responsables des infections nosocomiales « sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère » selon la loi. À l’inverse, les professionnels de santé libéraux « ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de soins qu’en cas de faute » prouvée par la victime. Cette distinction législative fonde la responsabilité sur le statut de l’organisme prestataire plutôt que sur la nature intrinsèque de l’infection médicale contractée. Le patient doit ainsi démontrer un manquement caractérisé lorsque le préjudice survient en dehors d’une structure hospitalière publique ou d’un organisme de santé.
B. L’existence d’une différence de traitement procédurale entre les victimes Cette dualité normative entraîne une rupture de l’égalité de traitement concernant l’indemnisation des dommages corporels liés aux accidents médicaux non fautifs. Le requérant estimait que la charge de la preuve pesant sur la victime variait injustement selon le lieu géographique de l’acte de soins. Le Conseil constitutionnel admet d’ailleurs qu’il existe « une différence de traitement dans l’engagement de la responsabilité » entre les deux catégories d’acteurs de santé. La loi impose effectivement une condition supplémentaire aux victimes de soins de ville pour obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices personnels. L’analyse de cette disparité conduit à examiner les motifs qui permettent au juge constitutionnel de justifier une telle dérogation au principe d’égalité.
II. La validation constitutionnelle par la spécificité du risque hospitalier
A. La reconnaissance d’une situation de fait objectivement dissemblable La conformité de la loi repose sur le constat d’une différence de situation objective entre les établissements de santé et les praticiens exerçant en ville. Le juge relève que les hôpitaux présentent « une prévalence des infections nosocomiales supérieure à celle constatée chez les professionnels de santé exerçant en ville ». Cette dangerosité s’explique par la fragilité des patients accueillis, la durée des séjours hospitaliers et la complexité technique des actes médicaux pratiqués. Le législateur a ainsi voulu prendre en compte « la spécificité des risques en milieu hospitalier » pour adapter les règles de la responsabilité civile. L’existence de ce risque accru constitue un critère rationnel justifiant un régime de responsabilité de plein droit pour les structures de soins collectives.
B. La proportionnalité de la mesure au regard de l’objectif de sécurité sanitaire Le Conseil constitutionnel rappelle également que les établissements de santé sont soumis à des obligations légales strictes en matière de politique de sécurité sanitaire. Ils doivent organiser la lutte contre les évènements indésirables et l’iatrogénie en vertu des dispositions protectrices du code de la santé publique. La différence de traitement instituée par la loi est donc jugée en rapport avec l’objectif de santé publique poursuivi par le législateur français. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité est écarté car la distinction opérée par la loi n’apparaît pas manifestement disproportionnée. Le régime de responsabilité pour faute demeure ainsi la règle de droit commun pour les actes médicaux réalisés dans un cadre strictement libéral.