Conseil constitutionnel, Décision n° 2016-588 QPC du 21 octobre 2016

Par une décision rendue le 21 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative au code général des collectivités territoriales. Cette procédure concerne les modalités de rattachement d’une commune nouvelle à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre lors de sa création. Le litige trouve son origine dans deux arrêtés préfectoraux, intervenus en mars et avril 2016, imposant le rattachement de communes fusionnées à des groupements spécifiques.

La procédure a débuté devant le Conseil d’État qui a renvoyé la question au juge constitutionnel par deux décisions en date du 20 juillet 2016. Les requérantes soutenaient que le pouvoir du représentant de l’État d’écarter le choix de la commune portait une atteinte excessive au principe de libre administration. Elles dénonçaient également l’absence de consultation des autres communes membres et des établissements publics concernés par ce changement de périmètre.

Le Conseil constitutionnel devait déterminer si les prérogatives préfectorales, s’exerçant sans garanties procédurales suffisantes pour les acteurs locaux, respectaient les exigences de l’article 72 de la Constitution. Le juge a déclaré la disposition contraire aux droits et libertés garantis, tout en reportant les effets de cette abrogation au 31 mars 2017. Il convient d’analyser d’abord l’encadrement de la volonté locale au nom de la cohérence territoriale avant d’étudier la sanction du déséquilibre procédural.

I. L’encadrement de la volonté locale au service de la cohérence territoriale

La création d’une commune nouvelle issue de communes appartenant à des groupements distincts impose de définir son futur rattachement intercommunal de manière cohérente. Le législateur a ainsi organisé une procédure où le choix initial de la collectivité peut être contesté par le représentant de l’État dans le département.

A. La primauté de l’intérêt général sur le choix de la commune nouvelle

Le paragraphe II de l’article L. 2113-5 du code général des collectivités territoriales permet au préfet de s’opposer à la délibération du conseil municipal. Le juge constitutionnel relève que « le législateur a entendu éviter que son choix puisse porter atteinte à la cohérence ou à la pertinence des périmètres intercommunaux ». Cette volonté de préserver l’organisation territoriale existante répond directement à un but d’intérêt général validé par le Conseil dans sa décision.

Si le législateur peut assujettir les collectivités à des obligations, c’est à la condition que ces dernières répondent effectivement à des fins d’intérêt national. Le Conseil constitutionnel affirme que le principe de libre administration ne fait pas obstacle à ce que la loi organise l’exercice en commun de certaines compétences. Cette approche confirme la possibilité pour l’État d’encadrer la liberté de choix des communes pour garantir la stabilité des structures intercommunales.

B. Une atteinte justifiée aux principes constitutionnels de gestion locale

Le juge rappelle que l’article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales. Le troisième alinéa de l’article 72 précise que ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi. En l’espèce, les règles de rattachement forcé affectent nécessairement la libre administration des communes qui voient leur autonomie de décision limitée.

Cependant, cette restriction est jugée légitime lorsqu’elle vise à maintenir une organisation rationnelle du territoire au regard des schémas départementaux de coopération intercommunale. Le Conseil ne voit pas dans cette intervention préfectorale une tutelle d’une collectivité sur une autre, proscrite par le cinquième alinéa de l’article 72. Cette analyse conduit le juge à examiner ensuite la proportionnalité des modalités de mise en œuvre de cette prérogative étatique.

II. La sanction d’une procédure disproportionnée et dépourvue de garanties

L’inconstitutionnalité de la disposition ne découle pas de la finalité poursuivie, mais de l’absence manifeste de garanties offertes aux collectivités et groupements touchés. Le Conseil constitutionnel censure le dispositif en raison d’un déséquilibre dans la procédure de consultation qui ignore les droits des tiers intéressés.

A. L’absence critique de consultation des acteurs du territoire

Le rattachement d’une commune nouvelle produit des conséquences majeures pour les établissements publics de coopération intercommunale, tant pour celui rejoint que pour celui quitté. Le Conseil souligne que les dispositions « ne prévoient ni la consultation de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel le rattachement est envisagé ». Cette omission fragilise le consentement des groupements qui doivent pourtant intégrer de nouvelles charges et compétences territoriales.

Le juge étend ce constat aux autres communes membres de ces établissements publics qui ne sont pas non plus appelées à se prononcer sur l’évolution du périmètre. L’impossibilité pour ces entités de provoquer la saisine de la commission départementale de coopération intercommunale crée une rupture d’égalité procédurale injustifiée. Dès lors, le Conseil considère que ces dispositions portent à la libre administration des communes une « atteinte manifestement disproportionnée » au regard des objectifs poursuivis.

B. La modulation temporelle des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité

L’article 62 de la Constitution permet au juge constitutionnel de déterminer les conditions et les limites dans lesquelles les effets d’une disposition abrogée sont remis en cause. Le Conseil constate que l’abrogation immédiate rendrait impossible le rattachement des communes nouvelles issues de fusions en cours, créant ainsi un vide juridique préjudiciable. Il décide en conséquence de reporter la date de l’abrogation au 31 mars 2017 pour permettre au législateur d’intervenir.

Afin de préserver l’effet utile de la QPC, le juge précise que cette inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances encore en cours. Cette décision renforce la protection procédurale des collectivités locales face aux pouvoirs exorbitants du préfet en matière de recomposition territoriale. La censure rappelle que l’efficacité de l’action publique ne peut s’affranchir du respect des garanties fondamentales dues aux élus locaux et à leurs groupements.

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Hassan KOHEN
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