Conseil constitutionnel, Décision n° 2016-599 QPC du 2 décembre 2016

Le Conseil constitutionnel, par une décision du 2 décembre 2016, a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité renvoyée par le Conseil d’État le 14 septembre précédent. Cette question portait sur la conformité de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières fixant la liste des personnes justiciables de la Cour de discipline budgétaire. La requérante contestait l’exclusion des membres du Gouvernement et des élus locaux du champ de compétence de cette juridiction spécialisée chargée de réprimer les fautes de gestion. Elle invoquait notamment une rupture du principe d’égalité devant la loi ainsi qu’une méconnaissance du droit de demander compte à tout agent public de son administration.

La juridiction constitutionnelle devait déterminer si le législateur peut valablement dispenser certaines autorités exécutives d’une forme de responsabilité juridictionnelle technique au profit d’autres modes de contrôle. Les juges ont conclu à la conformité des dispositions contestées en soulignant la spécificité des fonctions exercées par les personnes bénéficiant de cette exemption de poursuites. Cette solution repose sur une distinction de statut justifiée par la nature des contrôles politiques exercés et sur la préservation de l’exigence de reddition des comptes.

I. Une distinction de statut fondée sur la nature des contrôles exercés

A. L’existence d’une différence de situation objective

Le principe d’égalité n’interdit pas au législateur de traiter différemment des situations distinctes dès lors que la différence est en rapport avec l’objet de la loi. Le Conseil constitutionnel observe ici que les membres du Gouvernement et les élus locaux disposent d’un statut particulier au sein de l’organisation des institutions publiques. Les ministres sont collectivement responsables devant le Parlement tandis que les élus locaux agissent sous le regard permanent de leur organe délibérant respectif par élection. Le Conseil affirme que « ces autorités sont donc placées, eu égard à la nature du contrôle auquel elles sont soumises, dans une situation différente » des agents publics. Cette analyse permet de valider une organisation où la responsabilité politique se substitue partiellement à la responsabilité devant une juridiction répressive spécialisée pour les actes de gestion.

B. La préservation de la cohérence du régime de responsabilité financière

La Cour de discipline budgétaire sanctionne traditionnellement les manquements aux règles des finances publiques commis par des agents subordonnés à une autorité hiérarchique au sein des services. Les justiciables de droit commun peuvent d’ailleurs s’exonérer de leur responsabilité en prouvant qu’ils ont agi sur l’ordre écrit d’un supérieur compétent ou d’un ministre. Une telle décharge ne saurait bénéficier aux ministres ou aux présidents d’exécutifs locaux car ils ne sont soumis à aucun pouvoir hiérarchique direct dans leurs fonctions. Le juge constitutionnel relève ainsi que « une telle exemption de responsabilité n’est pas envisageable pour les membres du Gouvernement ou les élus locaux » sans rompre la logique. La cohérence du système répressif impose donc d’exclure ces autorités dont la faute ne saurait être juridiquement diluée dans une chaîne de commandement administratif classique.

II. Une immunité relative au regard de l’exigence constitutionnelle de reddition des comptes

A. La conciliation entre l’article 15 de la Déclaration et les régimes spécifiques

L’article 15 de la Déclaration de 1789 consacre le droit pour la société de demander compte à tout agent public de son administration quotidienne et de sa gestion. La requérante soutenait que l’exemption accordée aux responsables politiques créait une zone d’irresponsabilité incompatible avec cette exigence constitutionnelle fondamentale qui s’impose à tout dépositaire de l’autorité. Le Conseil constitutionnel écarte ce grief en rappelant que la reddition des comptes peut prendre des formes multiples, qu’elles soient purement politiques, strictement administratives ou même pénales. Les juges soulignent les « obligations politiques, administratives ou pénales pesant par ailleurs sur les membres du Gouvernement et les élus locaux » pour justifier leur décision de conformité. L’absence de poursuites devant une cour budgétaire ne signifie donc pas une absence totale de contrôle sur l’usage des deniers publics par les responsables politiques.

B. La portée limitée de l’exemption juridictionnelle

Il convient de noter que la dispense de juridiction prévue par le code des juridictions financières ne constitue nullement un privilège d’irresponsabilité généralisé au profit des élus. Les élus locaux peuvent en effet être poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire dans des hypothèses graves limitativement énumérées par la loi organique et le code. C’est notamment le cas lorsqu’ils utilisent leur pouvoir de réquisition d’un comptable public pour procurer un avantage injustifié ou pécuniaire à une tierce personne ou entité. Le Conseil rappelle opportunément que « les élus locaux peuvent être poursuivis devant la cour de discipline budgétaire et financière dans trois cas » spécifiques et dérogatoires. Cette réserve démontre que la protection nécessaire des fonctions exécutives ne fait pas obstacle à la répression des fautes de gestion les plus manifestement abusives.

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Hassan KOHEN
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