Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 septembre 2016 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 312-1 du code des juridictions financières. Cette disposition législative énumère les personnes justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière tout en prévoyant des exemptions pour certaines autorités politiques. Une requérante soutenait que l’exclusion des membres du Gouvernement et des élus locaux exécutifs créait une rupture d’égalité devant la loi et méconnaissait le principe de responsabilité. Elle invoquait ainsi la violation des articles 6 et 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à l’appui de sa contestation. Les juges de la rue de Montpensier ont dû déterminer si ces immunités fonctionnelles étaient conformes aux exigences constitutionnelles de justice et d’égalité devant les charges publiques. Dans sa décision du 1er décembre 2016, la juridiction déclare l’article contesté conforme à la Constitution en s’appuyant sur la différence de situation manifeste des intéressés. La validité de cette distinction repose sur l’existence de contrôles spécifiques aux autorités politiques avant de s’apprécier au regard des garanties de responsabilité publique subsistantes.
I. La justification d’une différence de traitement par l’existence de situations distinctes
A. La spécificité des mécanismes de contrôle propres aux autorités politiques
Le Conseil constitutionnel relève que « les membres du Gouvernement sont collectivement responsables devant le Parlement » selon les procédures précvues par les articles 49 et 50 de la Constitution. Cette responsabilité politique spécifique les place dans une situation juridique fondamentalement différente de celle des fonctionnaires ou agents publics ordinaires soumis à la discipline. Parallèlement, les maires et présidents d’exécutifs locaux agissent « sous le contrôle de l’organe délibérant de la collectivité » au sein de laquelle ils ont été élus. Cette distinction structurelle permet au législateur de traiter différemment ces autorités sans méconnaître pour autant le principe d’égalité devant la loi. La juridiction estime que la différence de traitement est « en rapport direct avec l’objet de la loi » visant à réprimer les manquements financiers.
B. La corrélation entre l’absence de lien hiérarchique et le régime de responsabilité
L’analyse de la Cour souligne que les justiciables de droit commun peuvent s’exonérer en invoquant « un ordre écrit de leur supérieur hiérarchique » lors d’une faute. Or, une telle exemption de responsabilité n’est pas envisageable pour les membres du Gouvernement ou les élus locaux qui ne sont soumis à aucun pouvoir hiérarchique. Cette observation technique renforce la cohérence du régime répressif en limitant la compétence de la Cour de discipline budgétaire aux seuls agents administratifs subordonnés. Le Conseil consacre ainsi l’idée que le régime de la discipline budgétaire est intrinsèquement lié à la structure pyramidale de l’administration française. Le juge constitutionnel estime que la spécificité des fonctions exécutives exclut par nature le mécanisme de la discipline budgétaire réservé aux seuls agents de gestion.
II. La préservation de l’exigence constitutionnelle de reddition des comptes
A. Le maintien d’une pluralité de contrôles administratifs et pénaux
L’analyse se déplace alors vers la conciliation de ce privilège juridictionnel avec le droit fondamental de la société à exiger des comptes à ses agents. L’article 15 de la Déclaration de 1789 dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » sans exception. Le Conseil constitutionnel juge que le législateur n’a pas méconnu ce principe fondamental en exemptant les autorités politiques de la juridiction financière de droit commun. Cette décision repose sur le constat que des obligations « politiques, administratives ou pénales » pèsent déjà lourdement sur ces responsables publics dans l’exercice quotidien de leurs missions. L’exemption n’aboutit donc pas à une irresponsabilité généralisée mais s’inscrit dans un édifice complexe de contrôles mutuels et de sanctions juridiques diversifiées.
B. Le caractère strictement fonctionnel et délimité de l’exemption juridictionnelle
Le Conseil précise que l’exemption de poursuites est « limitée aux actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions » ou de leurs activités accessoires strictement définies. De plus, les élus locaux demeurent personnellement justiciables dans des cas précis, notamment lorsqu’ils ont « engagé leur responsabilité propre par un acte de réquisition ». Ces réserves strictes empêchent que l’immunité fonctionnelle ne se transforme en un privilège personnel injustifié au regard de la protection des deniers publics. La portée de cette décision confirme le caractère spécialisé de la Cour de discipline budgétaire et financière au sein de l’organisation judiciaire française. En validant ce dispositif, le juge constitutionnel concilie la protection des fonctions exécutives avec la nécessité impérieuse de transparence et de probité financière.