Conseil constitutionnel, Décision n° 2016-604 QPC du 17 janvier 2017

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 17 janvier 2017, une décision importante relative à la conformité constitutionnelle du régime de report des déficits. Une réforme législative du 19 septembre 2011 a restreint la possibilité d’imputation des pertes fiscales au seul bénéfice de l’exercice précédent. Elle a également instauré un plafonnement de cet avantage à un million d’euros pour les sociétés soumises à l’impôt sur les bénéfices. Une seconde loi de finances, adoptée le 28 décembre 2011, a ultérieurement conféré un caractère interprétatif à ces nouvelles dispositions restrictives. L’administration a alors appliqué ces limites aux déficits qui étaient déjà en attente de report avant l’entrée en vigueur de la réforme. Une société a contesté cette application rétroactive devant le Conseil d’État, lequel a renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité aux sages. La requérante soutient que le législateur a porté une atteinte excessive aux situations légalement acquises en privant les entreprises de créances déjà nées. La juridiction doit décider si une loi fiscale peut modifier rétroactivement les conditions d’un report de déficit dont le fait générateur est passé. Le Conseil constitutionnel juge que la loi méconnaît la garantie des droits dès lors qu’aucun motif d’intérêt général suffisant ne justifie cette atteinte.

I. La reconnaissance d’une atteinte caractérisée à la sécurité juridique

A. La naissance d’une créance fiscale sur l’État

La décision précise que le régime du report en arrière permet à une entreprise de constater une perte imputable sur ses profits antérieurs. Le Conseil constitutionnel souligne que l’exercice de cette option fiscale « fait naître au profit de l’entreprise une créance » certaine sur le Trésor public. Cette créance constitue un élément d’actif dont le montant et l’existence sont déterminés au moment où l’option est régulièrement exercée par le contribuable. Les juges considèrent que la situation juridique de l’entreprise est consolidée dès lors que les conditions légales du report en arrière sont remplies. La protection constitutionnelle s’attache ainsi à l’effet juridique immédiat de l’option fiscale qui transforme un simple espoir en un droit de créance.

B. L’usage censuré de la loi interprétative rétroactive

Le législateur avait tenté de valider sa réforme en qualifiant les dispositions de la loi de finances rectificative pour 2011 de simples textes interprétatifs. Cette qualification visait à rendre applicables les nouvelles restrictions aux déficits constatés avant la date de publication de la norme de référence. Le Conseil constitutionnel relève toutefois que ces dispositions ont « remis en cause les options exercées postérieurement à l’entrée en vigueur » de la réforme initiale. En agissant ainsi, le pouvoir législatif a modifié rétroactivement l’étendue des droits des contribuables sur des exercices fiscaux déjà clos ou en cours. La censure repose sur le constat que la loi a dénaturé la portée des situations acquises sans respecter les exigences de la hiérarchie des normes.

II. Une protection constitutionnelle renforcée des situations acquises

A. La primauté de la garantie des droits en matière fiscale

L’article 16 de la Déclaration de 1789 sert de fondement à la protection des attentes légitimes des citoyens contre les changements imprévisibles de législation. Le Conseil rappelle qu’il est loisible au législateur de modifier des textes antérieurs mais qu’il ne peut « porter atteinte aux situations légalement acquises ». Cette protection est particulièrement cruciale en droit fiscal où les acteurs économiques ont besoin d’une visibilité minimale pour la gestion de leurs finances. La décision affirme que la remise en cause de créances dont le fait générateur est déjà intervenu constitue une violation directe de la Constitution. La garantie des droits s’oppose à ce que l’État s’exonère de ses dettes fiscales par le simple artifice d’une loi de validation rétroactive.

B. L’exigence de motifs d’intérêt général pour la rétroactivité

Le juge constitutionnel admet qu’une atteinte aux situations acquises puisse être validée si elle est justifiée par un motif d’intérêt général réellement suffisant. En l’espèce, les sages constatent que « cette atteinte n’est pas justifiée » par des raisons impérieuses susceptibles de primer sur la sécurité juridique des entreprises. Le seul objectif budgétaire consistant à préserver les recettes de l’État ne constitue pas, en soi, un motif suffisant pour léser des droits acquis. La portée de cet arrêt réside dans la limitation stricte du pouvoir souverain du Parlement lorsqu’il tente de modifier le passé sans nécessité absolue. Cette jurisprudence consolide ainsi la protection du patrimoine des personnes morales contre les interventions législatives qui viendraient rompre l’équilibre entre l’intérêt public et les droits individuels.

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Hassan KOHEN
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