Conseil constitutionnel, Décision n° 2017-690 QPC du 8 février 2018

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 8 février 2018, une décision importante relative à l’indemnisation des victimes d’actes de violence survenus durant la guerre d’Algérie. La question portait sur la constitutionnalité de l’article 13 de la loi du 31 juillet 1963 réservant les pensions aux seuls ressortissants français. Le requérant, de nationalité étrangère, a subi des préjudices physiques sur le territoire algérien entre 1954 et 1962 mais s’est vu refuser ce droit. Saisi par le Conseil d’État le 22 novembre 2017, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur l’éventuelle méconnaissance du principe d’égalité devant la loi. Le requérant soutenait que la différence de traitement entre victimes françaises et étrangères était dépourvue de fondement légitime au regard de l’objectif de solidarité. Le problème de droit est de savoir si le législateur peut valablement exclure les étrangers du bénéfice d’un régime d’indemnisation fondé sur la solidarité nationale. La haute juridiction déclare les mots « de nationalité française » contraires à la Constitution en raison d’une rupture d’égalité injustifiée.

I. La réaffirmation d’une égalité objective face à la solidarité nationale

A. L’exigence constitutionnelle d’un traitement indifférencié des victimes

Le Conseil rappelle que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » conformément à l’article 6 de la Déclaration de 1789. Le principe d’égalité n’interdit pas des traitements distincts si les situations sont différentes ou si l’intérêt général commande une telle dérogation législative. Cette différence doit cependant demeurer en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit pour être considérée comme valide et constitutionnelle. Dans cette espèce, le législateur poursuivait un objectif de solidarité nationale en garantissant des rentes aux personnes ayant souffert de dommages physiques graves. Ces préjudices se sont produits sur un territoire alors français, ce qui justifiait l’intervention de l’État pour assurer la réparation des souffrances subies.

B. L’inadéquation de la condition de nationalité à l’objet de l’indemnisation

Le juge constitutionnel estime que le législateur ne pouvait établir une distinction entre les victimes selon leur nationalité au moment de la survenance du dommage. La résidence sur le territoire français à l’époque des faits crée une situation identique entre tous les individus frappés par les violences en cause. L’exclusion des ressortissants étrangers est jugée discriminatoire car elle ne sert aucun motif d’intérêt général en adéquation avec l’indemnisation des victimes d’attentats. Le Conseil censure ainsi une condition de nationalité qui semblait pourtant ancrée dans la législation relative aux conséquences des évènements historiques liés à l’Algérie. Cette décision renforce la protection des droits fondamentaux en imposant une lecture objective des critères d’octroi des prestations fondées sur la solidarité humaine.

II. L’extension nécessaire de la protection aux ayants droit et les effets de la censure

A. La neutralisation de la nationalité pour la réversion de la pension

Le Conseil constitutionnel étend son raisonnement aux ayants droit en soulignant que l’objet de la pension est de compenser la perte du bénéficiaire décédé. Il affirme que le législateur ne pouvait établir une différence de traitement entre les successeurs selon leur appartenance nationale au regard de cet objectif. La nature même de la pension de réversion impose une continuité de traitement qui ne saurait être interrompue par des critères personnels de nationalité. Cette approche garantit que les proches des victimes, quelle que soit leur origine, bénéficient de la même reconnaissance publique que les citoyens de France. L’égalité de traitement est donc ici totale, s’appliquant aussi bien aux bénéficiaires directs du régime qu’à ceux qui héritent légitimement de leurs droits.

B. La portée immédiate de l’abrogation des dispositions inconstitutionnelles

La déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision, offrant ainsi un bénéfice immédiat à l’auteur de la question prioritaire. La disposition censurée ne peut plus être appliquée dans les instances juridiques en cours, ce qui rétablit la situation de droit pour de nombreux demandeurs. Le Conseil exerce son pouvoir de modulation des effets dans le temps pour assurer une sécurité juridique tout en sanctionnant fermement la violation constitutionnelle constatée. Cette décision marque une étape significative dans l’évolution du droit vers une reconnaissance universelle des victimes de violences de guerre sans distinction de passeport. Les magistrats rappellent que la solidarité nationale, lorsqu’elle s’exerce pour des faits territoriaux passés, ne doit exclure personne au nom d’un critère arbitraire.

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Hassan KOHEN
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