Par sa décision n° 2018-699 QPC du 29 mars 2018, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de dispositions issues de la loi du 30 octobre 2017. Cette loi visait à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme en intégrant des mesures de l’état d’urgence dans le droit commun. L’enjeu juridique résidait dans la possibilité pour l’autorité administrative d’imposer des restrictions aux libertés individuelles sans autorisation préalable systématique d’un juge.
Les faits utiles concernent l’adoption d’outils administratifs tels que les périmètres de protection, la fermeture de lieux de culte et les mesures individuelles de surveillance. Plusieurs requérants ont critiqué ces dispositifs en estimant qu’ils portaient une atteinte excessive à la liberté d’aller et de venir et au droit à la vie privée.
La procédure a débuté par la saisine du Conseil d’État qui a renvoyé la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel pour examen du fond. Les parties demandaient l’abrogation de ces articles en invoquant l’insuffisance des garanties législatives et la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs par le législateur.
Le problème de droit soumis au juge portait sur la constitutionnalité de l’extension permanente de prérogatives de police administrative au regard des droits fondamentaux garantis par la Constitution. Il s’agissait de déterminer si le législateur avait assuré une conciliation équilibrée entre la prévention des actes de terrorisme et la protection des libertés publiques essentielles.
Le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions contestées largement conformes, sous réserve de plusieurs garanties d’interprétation, tout en censurant certains mécanismes procéduraux et le régime des saisies. L’examen de cette décision conduit à étudier la validation encadrée des mesures de police administrative avant d’analyser la sanction des insuffisances législatives protectrices des droits.
I. Un encadrement constitutionnel des mesures de police administrative renforcé
A. La validation conditionnelle des périmètres de sécurité et de fermeture de lieux de culte Le Conseil constitutionnel admet que le législateur peut autoriser le préfet à instaurer des périmètres de protection pour assurer la sécurité de lieux exposés. Selon l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, l’accès peut être soumis à des vérifications comme les palpations de sécurité. Le juge précise que ces contrôles doivent se fonder sur « des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes ». Par ailleurs, la fermeture des lieux de culte prévue à l’article L. 227-1 est jugée conforme car elle poursuit un objectif de valeur constitutionnelle. Le préfet doit établir que les propos tenus provoquent à la violence ou au terrorisme pour justifier une telle mesure d’ordre public. L’arrêté préfectoral doit être motivé et strictement proportionné aux nécessités de la lutte contre la menace terroriste actuelle sur le territoire national.
B. La protection des libertés individuelles par le mécanisme des réserves d’interprétation Concernant les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, le Conseil constitutionnel valide les critères fixés par l’article L. 228-1 du code. Les obligations de ne pas se déplacer ou de se présenter aux services de police sont jugées nécessaires à la sécurité publique. Le juge assortit néanmoins cette validation d’une réserve majeure concernant la durée totale des mesures d’interdiction de fréquenter certaines personnes désignées. Il affirme que « cette mesure ne saurait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, excéder… une durée totale cumulée de douze mois ». Le ministre de l’intérieur doit également s’assurer que l’interdiction de relation ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie familiale normale. Ces garanties visent à prévenir une pérennisation indue de mesures administratives restrictives de liberté sans intervention préalable de l’autorité judiciaire compétente.
II. Une censure ciblée des dispositifs portant une atteinte excessive aux garanties fondamentales
A. Le rétablissement nécessaire de l’efficacité du contrôle juridictionnel Le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions de l’article L. 228-5 relatives au délai de jugement du tribunal administratif en matière de surveillance individuelle. Il estime qu’en « laissant au juge un délai de quatre mois pour statuer, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée » entre les droits. L’atteinte portée à la vie privée et à la liberté d’aller et de venir impose que le juge administratif statue dans de brefs délais. Le juge a également abrogé les mots limitant le recours suspensif en cas de renouvellement de la mesure au-delà de six mois. Cette décision renforce le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’autorité administrative ne peut plus renouveler ces contraintes sans qu’un juge ait préalablement statué sur la régularité et le bien-fondé de la décision.
B. La sauvegarde du droit de propriété face à l’imprécision des saisies administratives L’article L. 229-5 permettait la saisie de documents et d’objets lors des visites domiciliaires sans fixer de règles précises pour leur exploitation ou leur restitution. Le Conseil constitutionnel souligne que « les dispositions contestées méconnaissent le droit de propriété » protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Le législateur n’avait prévu aucun cadre légal pour l’exploitation et la conservation de ces supports physiques à la différence des données informatiques. Cette absence de garanties légales constitue une incompétence négative du législateur ayant des conséquences directes sur l’inviolabilité du domicile et le droit de propriété. Le juge constitutionnel a donc déclaré contraires à la Constitution les termes permettant la saisie de ces objets et documents physiques. Cette censure impose au législateur de définir un régime juridique protecteur garantissant la restitution rapide des biens saisis par l’administration publique.