Le Conseil constitutionnel a rendu, le 11 octobre 2018, une décision importante relative au régime disciplinaire des avocats. Cette affaire soulevait la question de la conformité à la Constitution du premier alinéa de l’article 23 de la loi du 31 décembre 1971. La disposition contestée ne prévoit aucun délai de prescription pour engager des poursuites disciplinaires contre les membres du barreau. Un avocat a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion d’un litige concernant ses manquements professionnels. La Cour de cassation a transmis cette question au Conseil constitutionnel le 11 juillet 2018. Le requérant invoquait une violation du principe d’égalité ainsi que des droits de la défense. Il estimait que l’absence de délai de prescription nuisait gravement à la sécurité juridique. Le Conseil constitutionnel a toutefois jugé la disposition conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution. Cette position repose sur l’absence d’exigence constitutionnelle de prescription et sur la spécificité de la profession d’avocat.
I. L’absence d’exigence constitutionnelle de prescription en matière disciplinaire
A. Une liberté laissée au législateur dans la fixation des délais
Le Conseil affirme qu’« aucun droit ou liberté que la Constitution garantit n’impose que les poursuites disciplinaires soient nécessairement soumises à une règle de prescription ». Le législateur dispose d’une marge de manœuvre totale pour instaurer ou non une limite temporelle. La prescription n’est donc pas un principe de valeur constitutionnelle s’imposant aux autorités normatives. Cette solution confirme une jurisprudence constante refusant d’élever la prescription au rang de garantie fondamentale. Les juges considèrent que l’écoulement du temps ne saurait suffire à éteindre l’action publique sans texte.
B. La compatibilité de l’imprescriptibilité avec les droits de la défense
Le requérant affirmait que l’absence de prescription portait atteinte à l’article 16 de la Déclaration de 1789. Les juges estiment toutefois que la poursuite « quel que soit le temps écoulé » ne méconnaît pas les droits de la défense. La procédure disciplinaire demeure juste et équitable tant que l’équilibre des droits des parties est assuré. Le Conseil précise que le temps écoulé peut néanmoins influer sur « la détermination de la sanction » prononcée. Cette modulation permet de concilier l’exigence de répression avec le respect concret des droits de l’intéressé.
II. La justification d’un régime disciplinaire propre aux avocats
A. L’existence d’une différence de situation entre les professions juridiques
Le grief tiré de la rupture d’égalité reposait sur la comparaison avec d’autres professions juridiques réglementées. Les Sages rappellent que le législateur peut régler différemment des situations distinctes sans méconnaître l’article 6 de la Déclaration. Or, « la profession d’avocat n’est pas placée, au regard du droit disciplinaire, dans la même situation que les autres professions ». Les spécificités du barreau justifient l’application d’un régime de responsabilité professionnelle qui lui est propre. Cette différence de situation constitue le fondement juridique de la validation du dispositif législatif contesté.
B. La proportionnalité du traitement différencié au regard des objectifs législatifs
La différence de traitement instaurée entre les officiers ministériels et les avocats doit rester en rapport avec l’objet de la loi. Le Conseil constitutionnel juge que l’absence de prescription répond efficacement à l’impératif de protection du public et de probité. L’objectif de moralisation de la vie juridique permet de justifier la sévérité accrue du régime de poursuites choisi. Cette décision consacre la primauté de l’intérêt général sur le confort juridique individuel des membres des professions libérales. Les avocats demeurent ainsi soumis à une exigence de dignité permanente dont l’examen ne peut être enfermé dans le temps.