Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2018-765 QPC du 15 février 2019, s’est prononcé sur la conformité des deux premiers alinéas de l’article 167 du code de procédure pénale. Cette disposition législative régit les modalités de communication des rapports d’expertise aux parties dans le cadre d’une instruction criminelle ou correctionnelle sur le territoire national. Un justiciable a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité lors d’une instance pénale concernant la transmission limitée des éléments techniques recueillis par les experts assermentés.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis cette interrogation aux juges de la rue de Montpensier par un arrêt rendu le 11 décembre 2018. Le requérant prétendait que réserver la copie intégrale du rapport aux seuls avocats créait une rupture d’égalité manifeste entre les justiciables selon leur mode de défense choisi. Il invoquait ainsi la méconnaissance du droit à un procès équitable et le respect effectif des droits de la défense garantis par le bloc de constitutionnalité français.
La question de droit consistait à déterminer si le législateur peut limiter l’accès à l’intégralité d’un rapport d’expertise aux seules parties assistées d’un avocat. Le Conseil constitutionnel a déclaré les mots litigieux contraires à la Constitution tout en organisant le report des effets de cette abrogation au premier septembre 2019. La consécration du droit à l’accès intégral au rapport d’expertise précède l’analyse des conséquences de cette inconstitutionnalité ainsi que l’aménagement temporel de ses effets.
I. La consécration du droit à l’accès intégral au rapport d’expertise
A. La remise en cause d’une distinction procédurale injustifiée
Les juges constitutionnels relèvent que l’article contesté privait les parties non assistées du droit de connaître l’intégralité d’un rapport d’expertise durant le délai d’observation imparti. Cette exclusion empêchait le justiciable agissant seul de formuler efficacement des demandes de complément d’expertise ou de contre-expertise auprès du juge d’instruction en charge du dossier criminel. Le Conseil souligne que « toutes les parties à une instruction doivent pouvoir avoir connaissance de l’intégralité du rapport d’une expertise ordonnée par le juge d’instruction ». Cette transparence nécessaire s’ancre directement dans la protection constitutionnelle des droits fondamentaux dont dispose chaque justiciable lors du déroulement d’une instruction préparatoire complexe.
B. L’affirmation du principe d’égalité devant la justice
Le fondement de la décision repose sur l’article 6 de la Déclaration de 1789 prévoyant que la loi doit être la même pour tous les citoyens français. Le législateur ne peut introduire de différences de traitement procédural que si elles ne procèdent pas de « distinctions injustifiées » et assurent des garanties égales. L’accès restreint au rapport complet constituait une entrave disproportionnée à la liberté reconnue aux parties d’assurer elles-mêmes leur défense sans l’assistance obligatoire d’un conseil juridique. Cette remise en conformité de la procédure pénale entraîne des effets juridiques majeurs qu’il convient désormais de mesurer avec précision au regard de la pratique judiciaire quotidienne.
II. Les conséquences de l’inconstitutionnalité et l’aménagement de ses effets
A. Une protection accrue des droits de la défense
L’inconstitutionnalité constatée protège le droit à un procès équitable en garantissant un accès aux pièces du dossier identique pour chaque partie engagée dans la procédure pénale. Le Conseil constitutionnel précise que cette communication intégrale demeure le principe, sous réserve de restrictions nécessaires au respect de la vie privée ou de l’ordre public. L’abrogation des termes discriminatoires impose désormais au juge d’instruction de remettre une copie du rapport complet à toute partie qui en fait la demande expresse motivée. Cette évolution marque une étape supplémentaire vers la reconnaissance d’un droit au dossier effectif pour les individus choisissant de comparaître seuls devant les juridictions de jugement.
B. Le report raisonné de l’abrogation de la disposition
Le Conseil constitutionnel a décidé de reporter au premier septembre 2019 la date d’abrogation effective des mots jugés contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution. Un retrait immédiat du texte aurait permis un accès absolu aux rapports sans considération pour les impératifs de sauvegarde de la recherche des auteurs d’infractions pénales graves. Les sages ont considéré qu’il appartenait au Parlement de définir les modalités permettant de concilier le droit à l’information des parties avec la protection de l’ordre public. Ce délai offre ainsi au législateur l’opportunité de corriger la disposition sans créer un vide juridique préjudiciable au bon fonctionnement de la justice pénale sur le territoire national.