Conseil constitutionnel, Décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019

Par sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Cette saisine émanait de plusieurs députés et sénateurs contestant de nombreuses dispositions modifiant substantiellement l’organisation judiciaire ainsi que les procédures civiles et pénales sur le territoire national. Les requérants soutenaient que le texte portait atteinte à la séparation des pouvoirs, au droit à un recours juridictionnel effectif et au principe d’impartialité des juridictions. Le juge constitutionnel devait ainsi déterminer si la recherche d’efficacité de l’appareil judiciaire pouvait justifier une restriction des interventions du magistrat et une dématérialisation accrue des procédures. Dans sa réponse, la juridiction valide l’essentiel du texte mais censure des mesures phares manquant de garanties légales suffisantes pour la protection des libertés individuelles des citoyens. L’analyse de cette décision révèle d’abord la préservation de l’office du juge face aux délégations administratives puis la réaffirmation des garanties procédurales indispensables en matière pénale.

I. La préservation de l’office du juge face aux délégations administratives

A. La censure de l’octroi de pouvoirs juridictionnels à des entités privées

L’article sept de la loi déférée prévoyait de confier aux organismes débiteurs des prestations familiales la délivrance de titres exécutoires pour modifier certaines contributions alimentaires. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition en considérant que ces caisses sont des « personnes privées en charge d’une mission de service public » dépourvues de garanties juridictionnelles. Il souligne que ces organismes peuvent être intéressés financièrement à la détermination du montant des créances alimentaires lorsqu’ils versent l’allocation de soutien familial aux parents. Par cette décision, le juge affirme que le législateur ne peut autoriser une telle structure à modifier des décisions judiciaires sans assurer le respect de « l’exigence d’impartialité ». Cette position protège la nature exclusivement judiciaire du pouvoir de modifier une décision de justice portant sur l’état des personnes ou leurs obligations alimentaires.

B. L’encadrement strict des modes alternatifs de règlement des litiges

L’article trois de la réforme subordonne la recevabilité de certaines demandes civiles à une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative devant le tribunal judiciaire. Les sages déclarent cette mesure conforme à la Constitution sous une réserve d’interprétation importante concernant le délai raisonnable d’indisponibilité du conciliateur de justice désigné. Ils précisent qu’il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir le « motif légitime » permettant de saisir directement la juridiction, notamment en cas d’urgence manifeste pour le justiciable. Le Conseil rappelle que si le législateur peut favoriser les règlements amiables, il ne doit pas porter d’ « atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif ». Cette réserve garantit que les barrières procédurales ne deviennent pas des obstacles infranchissables pour les citoyens souhaitant obtenir l’intervention d’un magistrat.

II. La réaffirmation des garanties procédurales en matière pénale

A. Le rappel de la proportionnalité des mesures d’investigation intrusives

L’article quarante-quatre de la loi élargissait les possibilités de recourir aux interceptions de correspondances électroniques et à la géolocalisation pour de nombreuses infractions pénales de gravité moyenne. Le Conseil constitutionnel a censuré l’extension des écoutes téléphoniques en soulignant l’absence de garanties permettant un contrôle suffisant par le juge des libertés et de la détention. Il estime que « le législateur n’a pas opéré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée ». Les juges considèrent que la gravité de l’infraction doit être en adéquation avec l’atteinte portée au secret des correspondances et à l’inviolabilité du domicile. Cette décision limite ainsi la tendance à la banalisation des techniques spéciales d’enquête pour des délits ne présentant pas un caractère de particulière complexité.

B. La protection des droits de la défense face aux nécessités de l’urgence

La juridiction constitutionnelle a également invalidé le recours systématique à la visioconférence lors des débats portant sur la prolongation de la détention provisoire sans l’accord du détenu. Elle a jugé que cette disposition portait une « atteinte excessive aux droits de la défense » au regard de l’importance de la présentation physique devant un magistrat. Le Conseil rappelle que le bon usage des deniers publics et la bonne administration de la justice ne sauraient justifier l’éviction de garanties fondamentales pour la liberté. De même, la suppression de la présentation physique obligatoire devant le procureur pour prolonger une garde à vue a été validée car le magistrat conserve son pouvoir d’appréciation. En censurant les mesures les plus radicales, le juge constitutionnel maintient l’autorité judiciaire comme gardienne de la liberté individuelle conformément aux principes de la République.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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