Le Conseil constitutionnel, par une décision du 17 mai 2019, s’est prononcé sur la conformité de l’article 885 D du code général des impôts. Une contribuable contestait l’impossibilité de déduire de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune des dettes contractées auprès de ses héritiers. La Cour de cassation a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité le 20 février 2019 afin d’apprécier une éventuelle méconnaissance du principe d’égalité. Le litige repose sur le renvoi opéré par la loi vers les règles régissant les droits de mutation par décès pour l’établissement de l’impôt. La requérante soutient que cette disposition instaure une différence de traitement injustifiée entre les dettes familiales et celles souscrites auprès de tiers. Le Conseil constitutionnel devait ainsi déterminer si une telle restriction aux facultés contributives respectait les exigences de la Déclaration des droits de l’homme. Les sages déclarent la disposition conforme en estimant que le législateur poursuit un objectif de valeur constitutionnelle lié à la lutte contre la fraude. La validation du mécanisme repose sur la légitimité du contrôle de la sincérité des passifs déclarés tout en préservant le droit à la preuve.
I. La légitimation d’une distinction fondée sur la lutte contre la fraude fiscale
A. La poursuite d’un objectif de valeur constitutionnelle de contrôle
Le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur peut régler de façon différente des situations distinctes pour des raisons d’intérêt général bien définies. L’article 885 D du code général des impôts prévoit que l’impôt de solidarité sur la fortune obéit aux mêmes règles que les droits de mutation. Les juges soulignent que « le législateur a entendu permettre le contrôle de la sincérité de ces dettes et ainsi réduire les risques de minoration » fiscale. La lutte contre la fraude constitue un objectif de valeur constitutionnelle justifiant une dérogation au principe d’égalité devant la loi de manière proportionnée. Cette volonté de prévenir l’évasion fiscale autorise l’administration à exiger des garanties supplémentaires lors de la déclaration de dettes au sein du cercle familial.
B. L’existence de critères objectifs liés aux liens familiaux
La différence de traitement repose sur la nature des liens unissant le redevable à ses héritiers, rendant le risque de fraude beaucoup plus élevé. Les sages considèrent que la distinction entre les héritiers et les tiers est fondée sur des critères objectifs en rapport direct avec l’objet de la loi. Le Conseil affirme ainsi que « le risque de minoration de l’impôt demeure y compris lorsque les héritiers » sont eux-mêmes redevables de la taxe. Cette analyse valide l’exclusion automatique des dettes sous seing privé dépourvues de date certaine afin d’éviter la création artificielle de passifs déductibles. Le juge constitutionnel refuse de considérer que la situation patrimoniale du prêteur pourrait rendre cette mesure injustifiée au regard des buts poursuivis par le législateur.
II. Une atteinte proportionnée aux principes d’égalité et de propriété
A. La préservation de la liberté de preuve par le formalisme
Les dispositions critiquées n’interdisent pas de déduire une dette réelle, mais imposent simplement le respect d’un formalisme protecteur des intérêts du Trésor public. Le Conseil précise que les textes n’ont pas pour objet d’interdire au redevable « d’en prouver l’existence et la sincérité » par des moyens appropriés. La preuve de la créance est subordonnée à la rédaction d’un acte authentique ou d’un acte sous seing privé ayant acquis une date certaine. Ce tempérament permet de concilier la nécessaire lutte contre la fraude avec le respect du droit de propriété garanti par les textes fondamentaux. La charge imposée au contribuable demeure limitée puisque ce dernier conserve la faculté d’organiser ses relations contractuelles selon les formes juridiques requises.
B. L’absence de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges
Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques est écarté par une analyse rigoureuse de la notion de double imposition. Le juge relève que les dispositions contestées n’ont pas pour effet d’imposer « deux fois une même personne sur un même patrimoine » financier global. L’exigence de répartition de l’impôt en raison des facultés contributives n’est pas méconnue dès lors que le critère retenu demeure rationnel et objectif. Le Conseil constitutionnel conclut à la pleine conformité du renvoi législatif, estimant qu’aucune rupture caractérisée de l’égalité ne peut être valablement invoquée. La décision confirme ainsi la robustesse des mécanismes anti-abus dans le domaine de la fiscalité patrimoniale tout en protégeant les libertés individuelles garanties.