Le Conseil constitutionnel a rendu le 21 juin 2019 une décision portant sur la conformité de l’article L. 6154-2 du code de la santé publique. Cette disposition autorise les praticiens des établissements publics à déroger à l’interdiction de facturation des dépassements d’honoraires pour leur activité libérale. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État, dans sa décision n° 427173 du 12 avril 2019, le juge devait examiner plusieurs griefs. Les requérants soutenaient que cette faculté créait une rupture d’égalité tant entre les patients qu’entre les différents établissements de santé. Ils invoquaient également une atteinte à la liberté d’entreprendre ainsi qu’à la liberté contractuelle dans le cadre du service public hospitalier. La question posée consistait à déterminer si le privilège tarifaire des praticiens publics méconnaissait le principe d’égalité devant la loi. Le juge a déclaré les dispositions conformes en se fondant sur l’existence d’une différence de situation objective et d’un motif d’intérêt général. La validation du cadre spécifique de l’activité libérale précède l’examen de la conciliation opérée entre les impératifs publics et l’attractivité des carrières.
I. L’admission de la spécificité du cadre de l’activité libérale publique
A. L’absence de discrimination établie entre les usagers Le Conseil constitutionnel écarte d’abord le grief relatif à la discrimination entre les patients accueillis au sein du service public hospitalier. Il souligne que « lorsqu’ils exercent une activité libérale au sein de leur établissement, les praticiens n’interviennent pas dans le cadre du service public ». Cette distinction étanche entre les modes d’exercice garantit que le patient conserve la pleine liberté du choix de sa prise en charge médicale.
La loi impose d’ailleurs des garanties strictes concernant « l’information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique ». Dès lors, l’absence de garantie de tarifs réglementés pour le secteur libéral ne saurait léser les droits fondamentaux des usagers. Le patient choisit volontairement de recourir à une prestation hors service public en acceptant les conditions tarifaires de son praticien.
B. La justification par la différence de situation des établissements Le juge constitutionnel justifie ensuite la distinction opérée entre les établissements publics et les établissements de santé privés assurant le service public. Les praticiens publics sont « tenus de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalières » en raison de leur statut spécifique. À l’inverse, les médecins du secteur privé disposent de la liberté de cumuler d’autres activités médicales hors du cadre du service public.
Cette différence de régime juridique fonde une différence de situation autorisant le législateur à prévoir des règles tarifaires distinctes pour chaque catégorie. La mesure contestée est ainsi jugée « en rapport direct avec l’objet de la loi » qui organise le fonctionnement administratif des hôpitaux. L’équilibre du système repose sur la compensation des contraintes statutaires imposées aux seuls agents de la fonction publique hospitalière.
II. L’équilibre entre les exigences du service public et l’attractivité des carrières
A. L’encadrement strict du caractère accessoire des dépassements tarifaires La constitutionnalité du dispositif repose sur le caractère strictement limité de cette dérogation tarifaire au sein de l’établissement public de santé. L’activité libérale ne doit jamais entraver les missions de service public ni devenir l’activité principale du praticien statutaire à temps plein. La décision rappelle que « la durée de l’activité libérale ne doit pas excéder 20 % de la durée de service hospitalier hebdomadaire ».
De plus, le volume des actes libéraux doit rester inférieur à celui réalisé dans le cadre de l’activité strictement publique de l’intéressé. Ces garde-fous assurent que les moyens de l’établissement ne sont pas détournés de leur finalité sociale au profit d’intérêts financiers privés. L’activité libérale demeure ainsi une modalité d’exercice exceptionnelle et contrôlée au bénéfice de l’institution hospitalière tout entière.
B. La poursuite d’un objectif d’intérêt général pour l’hôpital public Le Conseil constitutionnel valide l’intention du législateur de renforcer l’attractivité des carrières au sein des établissements publics de santé. La possibilité de pratiquer des dépassements d’honoraires constitue « un complément de rémunération » pour des praticiens soumis à des obligations statutaires contraignantes. Cette mesure permet d’attirer des compétences médicales de haut niveau au bénéfice direct de l’ensemble des usagers du système de santé.
En favorisant « l’attractivité des carrières hospitalières publiques », la loi participe au maintien d’une offre de soins performante sur le territoire national. Le juge consacre ainsi une vision pragmatique de la gestion des ressources humaines hospitalières dans le respect des principes constitutionnels supérieurs. La décision assure la pérennité du service public face aux enjeux de concurrence du secteur privé lucratif.