Conseil constitutionnel, Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019

Par une décision n° 2019-794 DC rendue le 20 décembre 2019, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi d’orientation des mobilités. Saisi par plus de soixante députés et soixante sénateurs, il devait notamment examiner les dispositions encadrant la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation électronique.

Les requérants contestaient la régularité de la procédure d’adoption ainsi que la création d’une charte facultative définissant les droits et obligations des travailleurs indépendants. Ils soutenaient que ce dispositif permettait aux opérateurs de soustraire leurs relations contractuelles au risque de requalification en contrat de travail par le juge judiciaire. Le grief d’incompétence négative était également soulevé, les parlementaires estimant que le législateur n’avait pas suffisamment défini les garanties sociales minimales applicables.

La question posée au Conseil constitutionnel était de savoir si le législateur peut autoriser des personnes privées à définir unilatéralement les éléments excluant l’existence d’un lien de subordination. Les sages devaient déterminer si l’homologation administrative d’une telle charte pouvait légalement interdire au juge de requalifier la relation commerciale en contrat de travail. La décision apporte des précisions sur le partage des compétences entre la loi et le contrat dans le secteur numérique.

Le Conseil constitutionnel censure la disposition interdisant au juge de fonder une requalification sur le respect des engagements de la charte, tout en validant le principe global du texte. L’analyse portera d’abord sur la validation du cadre procédural et du principe de la charte, avant d’étudier la censure de l’abandon de la compétence législative.

I. La validation du cadre institutionnel et du principe de la charte sociale

A. La régularité de la confection du projet de loi

Les requérants critiquaient l’insuffisance de l’étude d’impact et le recours à un prestataire privé pour la rédaction de l’exposé des motifs du projet de loi. Le Conseil constitutionnel écarte ces griefs en soulignant que le défaut d’une étude d’impact initiale est sans incidence dès lors que le dépôt au Parlement respecte les formes organiques. Il juge également que « la circonstance qu’un prestataire privé a participé, sous la direction et le contrôle du Premier ministre » à la rédaction ne méconnaît aucune règle. Cette solution réaffirme la liberté du Gouvernement dans la phase de préparation des textes législatifs, tant que le contrôle politique et administratif est maintenu. La décision préserve ainsi l’efficience de l’action gouvernementale face aux contraintes techniques croissantes de la légistique moderne.

B. La constitutionnalité du recours à une charte de responsabilité sociale

Le législateur a créé une charte facultative permettant aux plateformes de définir les droits et obligations réciproques dans le cadre de leurs relations avec les travailleurs. Les requérants invoquaient une rupture d’égalité et une violation du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail. Le Conseil constitutionnel juge toutefois que les plateformes et les travailleurs indépendants « ne constituent pas, en l’état, une communauté de travail ». Il estime que le législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général en cherchant à renforcer les garanties sociales dans un secteur marqué par un fort déséquilibre économique. La différence de traitement entre les travailleurs des plateformes et les autres indépendants est ainsi validée par un critère objectif et rationnel.

II. La censure de l’atteinte à la compétence législative sur le contrat de travail

A. Le constat d’une incompétence négative manifeste du législateur

L’article 34 de la Constitution confie au seul législateur la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et des obligations civiles. Or, la loi déférée permettait aux plateformes de fixer elles-mêmes les éléments de leur relation qui ne pourraient pas être retenus par le juge pour caractériser la subordination. Le Conseil constitutionnel censure cette disposition car elle délègue à des personnes privées le soin de fixer des règles relevant du domaine de la loi. En agissant ainsi, « le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence » en reportant sur les opérateurs de plateforme la détermination du champ d’application du salariat. Cette décision rappelle que la définition des caractéristiques essentielles du contrat de travail est une compétence législative indisponible et non délégable à des entités privées.

B. La préservation de l’office du juge judiciaire dans la qualification des faits

Le texte initial visait à sécuriser juridiquement les plateformes en empêchant le juge de requalifier la relation de travail sur la base des engagements de la charte. Le Conseil constitutionnel rappelle qu’il « appartient au juge de requalifier cette relation en contrat de travail lorsqu’elle se caractérise par l’existence d’un lien de subordination ». En limitant les éléments pouvant être pris en compte par le magistrat, le législateur portait une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. La censure permet de maintenir la primauté de la réalité des faits sur la qualification formelle choisie unilatéralement par l’une des parties au contrat. Le juge judiciaire conserve donc son plein pouvoir d’appréciation pour protéger les travailleurs dont l’indépendance ne serait que de pure façade.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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