Le Conseil constitutionnel a rendu, le 27 décembre 2019, une décision relative à la loi de finances pour l’année 2020 sous le numéro 2019-796 DC. Cette décision traite principalement des nouveaux outils numériques dont dispose l’administration pour détecter les manquements aux obligations fiscales et douanières. Plusieurs membres de l’Assemblée nationale et du Sénat ont saisi le juge constitutionnel afin de contester la validité de diverses dispositions législatives. Les requérants soutenaient notamment que la collecte automatisée de données sur les plateformes numériques portait une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée. Ils invoquaient également une méconnaissance de la liberté d’expression et l’absence de lien direct entre ces mesures et les lois de finances. La question posée au Conseil consistait à déterminer si la lutte contre la fraude justifie un dispositif de surveillance automatisée des contenus publics sur internet. Le juge constitutionnel a validé l’essentiel du dispositif tout en censurant une partie jugée disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur. Cette étude portera sur l’extension encadrée des outils de surveillance administrative puis sur le maintien nécessaire des équilibres constitutionnels garantis par le juge.
**I. L’extension encadrée des outils de surveillance administrative**
**A. L’affirmation d’un objectif de valeur constitutionnelle**
Le Conseil rappelle que le législateur peut édicter des règles pour concilier la lutte contre la fraude fiscale avec les libertés publiques. Cette lutte constitue un objectif de valeur constitutionnelle permettant de justifier des atteintes proportionnées aux droits fondamentaux des citoyens français. L’article 154 de la loi déférée permet aux agents habilités de collecter des contenus accessibles publiquement sur les sites des opérateurs de plateforme. Le juge admet que ce dispositif répond à une nécessité de renforcement des contrôles pour assurer le recouvrement effectif de l’impôt national. Il précise que les traitements automatisés visent « la recherche de certains manquements et de certaines infractions dont la commission est rendue possible ou favorisée par l’usage d’internet ». La légitimité de l’action publique repose ici sur la gravité des fraudes recherchées, notamment en matière de domiciliation fiscale occulte.
**B. La reconnaissance d’une ingérence dans les libertés fondamentales**
Le juge reconnaît explicitement que la collecte indifférenciée d’importants volumes de données porte atteinte au droit au respect de la vie privée des utilisateurs. Cette surveillance peut également « dissuader d’utiliser de tels services ou conduire à en limiter l’utilisation », affectant ainsi la liberté de communication en ligne. Le Conseil souligne que même si les données sont rendues publiques par les intéressés, leur traitement automatisé demeure une immixtion sérieuse. La liberté d’expression est d’autant plus précieuse que son exercice conditionne la démocratie et garantit le respect des autres droits individuels. En qualifiant l’atteinte, le juge oblige le législateur à justifier précisément l’adéquation du moyen informatique utilisé avec le but de rendement budgétaire recherché. Cette reconnaissance de l’atteinte constitue le préalable indispensable à l’examen des garanties entourant le nouveau pouvoir de l’administration fiscale et douanière.
**II. Le maintien nécessaire des équilibres constitutionnels**
**A. La rigueur des garanties procédurales imposées**
La validité du dispositif expérimental repose sur des protections strictes destinées à limiter les risques d’arbitraire ou d’erreur de la part des services. Le juge précise que les données sensibles, révélant les opinions politiques ou religieuses, « ne peuvent faire l’objet d’aucune exploitation à des fins de recherche ». Seules les informations librement accessibles sans mot de passe peuvent être capturées par les outils de collecte mis en œuvre par l’administration. Le Conseil interdit également tout système de reconnaissance faciale pour identifier les contribuables dont les agissements seraient scrutés par les agents publics. Les informations manifestement sans lien avec la fraude doivent être détruites dans un délai maximum de cinq jours suivant leur collecte initiale. Enfin, aucune procédure ne peut être engagée sans une intervention humaine permettant « une appréciation individuelle de la situation de la personne par l’administration ».
**B. La sanction d’une utilisation disproportionnée du dispositif**
Le juge constitutionnel censure toutefois l’application du dispositif pour la recherche de simples retards de production d’une déclaration fiscale après mise en demeure préalable. L’administration possède déjà connaissance de cette infraction et le recours à une surveillance automatisée massive apparaît alors excessif au regard du but poursuivi. Le Conseil considère que « les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée […] une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée ». En retranchant les mots litigieux de l’article 154, le juge limite l’outil aux fraudes les plus complexes et les plus difficiles à déceler. La nature expérimentale du dispositif impose une évaluation future pour vérifier son efficacité réelle par rapport aux atteintes portées aux libertés publiques. Cette décision confirme que l’innovation technologique au service du fisc ne saurait s’affranchir du respect scrupuleux des garanties constitutionnelles minimales.