Le Conseil constitutionnel s’est prononcé le 24 janvier 2020 sur la conformité de dispositions imposant aux fabricants de tabac la fourniture gratuite d’équipements de contrôle. Cette décision intervient dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d’État concernant des articles du code de la santé publique. En l’espèce, la loi impose l’apposition d’un dispositif de sécurité infalsifiable sur les produits du tabac pour garantir leur traçabilité et lutter contre la fraude. Le législateur a prévu que les équipements nécessaires à la détection de ces éléments soient fournis gratuitement par les fabricants et importateurs aux administrations compétentes. La société requérante soutenait que cette obligation méconnaissait les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par la Déclaration de 1789. Elle arguait que le financement de moyens techniques de contrôle administratif constitue par nature une dépense incombant à l’État et non aux opérateurs privés. Le problème juridique posé réside dans la possibilité pour le législateur d’imposer à des acteurs privés le coût financier des moyens de contrôle de leur activité. Les sages déclarent les dispositions conformes, estimant que cette charge n’entraîne pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques au regard des objectifs poursuivis. Le commentaire examinera d’abord la légitimation d’une charge privée au service de l’intérêt général avant d’analyser l’encadrement de la proportionnalité de cette obligation financière.
I. La légitimation d’une charge privée au service de l’intérêt général
A. Le lien nécessaire entre l’activité économique et la mission de contrôle
Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé publique et de sauvegarde de l’ordre public. Il souligne que « le législateur a entendu garantir l’authenticité des produits du tabac mis sur le marché pour lutter contre leur commerce illicite ». Cette mission de contrôle administratif se justifie par la dangerosité intrinsèque du produit et la nécessité de réguler strictement sa circulation sur le territoire national. La juridiction constitutionnelle relève que la lutte contre la fraude « n’est pas sans lien avec les activités des entreprises qui les fabriquent ou les importent ». Les opérateurs privés bénéficient directement de l’éviction du marché des produits contrefaits ou introduits illégalement qui concurrencent leurs propres activités économiques de manière déloyale. L’implication financière des fabricants dans le dispositif de sécurité apparaît donc comme le corollaire logique de leur participation à un marché hautement réglementé.
B. L’absence de transfert indu d’une dépense régalienne à des personnes privées
La société requérante affirmait que l’entretien de la force publique et les dépenses d’administration devaient être financés par une contribution commune également répartie. Le Conseil rejette cette analyse en précisant que le législateur « n’a pas reporté sur des personnes privées des dépenses qui, par leur nature, incomberaient à l’État ». Il distingue ainsi les fonctions régaliennes de commandement et de décision des moyens techniques accessoires nécessaires à l’exercice effectif de ces missions. Si l’État conserve la pleine maîtrise du contrôle et l’exercice de la puissance publique, la fourniture du matériel de détection constitue une aide matérielle. Cette collaboration forcée ne dénature pas la mission de l’administration mais l’accompagne dans la mise en œuvre de dispositifs techniques complexes introduits par les fabricants. La solution retenue par les juges valide l’idée que certaines contraintes administratives peuvent peser financièrement sur ceux dont l’activité génère précisément le besoin de contrôle.
II. L’encadrement strict de la proportionnalité de l’obligation financière
A. Une différenciation justifiée par l’objet de la loi et la situation des opérateurs
Le principe d’égalité devant la loi n’interdit pas de traiter différemment des situations distinctes lorsque l’intérêt général le commande pourvu que le critère soit objectif. Le Conseil constitutionnel observe que les fabricants et importateurs mettent les produits sur le marché contrairement aux simples distributeurs ou buralistes qui n’interviennent qu’en aval. Cette différence de situation autorise le législateur à faire peser l’obligation de fourniture de matériel uniquement sur les premiers sans méconnaître les exigences constitutionnelles. Les juges précisent que la différence de traitement qui en résulte est « en rapport direct avec l’objet de la loi » visant la traçabilité dès la production. En outre, la décision écarte tout grief d’inégalité entre anciens et nouveaux entrants sur le marché puisque tout opérateur est soumis aux mêmes contraintes matérielles. L’obligation suit l’évolution technique des dispositifs de sécurité, assurant ainsi une permanence de la charge pour l’ensemble des acteurs industriels concernés par la mesure.
B. L’exclusion d’une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques
L’article 13 de la Déclaration de 1789 permet d’imposer « à certaines catégories de personnes des charges particulières » sans qu’il en résulte une rupture caractérisée de l’égalité. Le Conseil vérifie la proportionnalité de la mesure en relevant que l’obligation se limite aux seuls équipements « nécessaires » à la détection par l’administration. La charge financière est répartie de manière équitable car chaque fabricant contribue « à proportion des unités de conditionnement » qu’il met effectivement sur le marché national. Cette modulation en fonction du volume d’activité garantit que la charge ne devient pas confiscatoire ou manifestement excessive pour les opérateurs de moindre importance. En renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités d’application, le législateur a respecté l’étendue de sa propre compétence législative. Les dispositions contestées sont donc déclarées conformes car elles respectent un juste équilibre entre les prérogatives de l’État et la liberté des acteurs économiques.