Conseil constitutionnel, Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 31 janvier 2020, une décision primordiale concernant l’interdiction d’exporter des produits phytopharmaceutiques dont la nocivité est établie par les instances européennes. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État le 7 novembre 2019, le juge constitutionnel devait examiner la validité d’une restriction sévère à l’activité commerciale.

L’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime interdit, à partir du 1er janvier 2022, la production et l’exportation de substances non approuvées. Une association professionnelle a contesté cette mesure en invoquant une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La requérante arguait que cette interdiction serait inefficace car les pays importateurs pourraient s’approvisionner auprès de concurrents étrangers ne subissant pas les mêmes contraintes législatives.

La question de droit soulevée consistait à déterminer si l’interdiction d’exportation de produits dangereux concilie de manière équilibrée la liberté d’entreprendre et les objectifs de protection constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel rejette le grief de la requérante et déclare les dispositions contestées conformes à la Constitution en consacrant un nouvel objectif de valeur constitutionnelle. Cette solution repose sur la primauté accordée à la protection de l’environnement et de la santé (I), laquelle justifie une limitation encadrée de la liberté d’entreprendre (II).

I. La consécration de la protection de l’environnement comme priorité constitutionnelle

Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur une lecture renouvelée du Préambule de la Charte de l’environnement pour affirmer que la préservation du milieu naturel est fondamentale. Il souligne ainsi que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle » afin d’assurer la pérennité des générations futures.

A. L’émergence d’un objectif de valeur constitutionnelle lié au patrimoine commun

Le juge constitutionnel s’appuie sur le texte de la Charte de l’environnement pour ériger sa protection au rang d’objectif de valeur constitutionnelle aux côtés de la santé. Cette reconnaissance permet au législateur de limiter l’exercice de libertés économiques pour sauvegarder des intérêts supérieurs qui conditionnent l’avenir et l’existence même de l’humanité. En qualifiant l’environnement de patrimoine commun, le Conseil impose une vision solidaire du droit qui dépasse les seuls intérêts immédiats des acteurs économiques nationaux.

B. La reconnaissance d’une responsabilité législative pour les effets environnementaux à l’étranger

L’apport majeur de cette décision réside dans l’affirmation que « le législateur est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement à l’étranger ». Cette précision confère une dimension extraterritoriale aux objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de la santé humaine. Le Conseil estime que la participation d’entreprises françaises à la diffusion mondiale de produits nocifs justifie une intervention de l’État pour prévenir des dommages lointains.

II. Une conciliation proportionnée avec la liberté d’entreprendre

Le Conseil constitutionnel examine ensuite si l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre, découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789, n’est pas manifestement excessive. Il conclut que le législateur a opéré un arbitrage cohérent entre les intérêts économiques privés et les impératifs de sécurité sanitaire et environnementale mondiale.

A. La pertinence du lien entre l’interdiction d’exportation et les finalités sanitaires

Le juge constitutionnel valide le raisonnement législatif en soulignant que l’interdiction de circuler et de stocker ces produits prévient directement les risques liés à leur diffusion. Il juge que le législateur a porté à la liberté d’entreprendre une atteinte « bien en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement ». Le fait que des concurrents étrangers puissent théoriquement approvisionner les pays tiers ne suffit pas à rendre la mesure française inconstitutionnelle ou inutile.

B. L’aménagement temporel garantissant l’absence de déséquilibre manifeste

Pour parfaire son contrôle de proportionnalité, le Conseil relève que la loi a différé l’entrée en vigueur de l’interdiction au 1er janvier 2022. Ce délai de plus de trois ans permet aux entreprises de s’adapter en modifiant leurs processus de production ou en réorientant leurs activités commerciales vers des produits autorisés. Par conséquent, le Conseil constitutionnel estime que le législateur a assuré une « conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée » entre les principes constitutionnels en présence.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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