Conseil constitutionnel, Décision n° 2020-842 QPC du 28 mai 2020

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 28 mai 2020, une décision relative à la conformité aux droits et libertés constitutionnels de certaines dispositions du code général des impôts. La question portait sur la déductibilité fiscale de la contribution aux charges du mariage, initialement conditionnée par l’existence préalable d’une décision de justice. Un contribuable, faisant l’objet d’une imposition séparée de son conjoint, souhaitait déduire les sommes versées spontanément au titre de ses obligations matrimoniales légales. L’administration fiscale a opposé un refus, fondant sa position sur l’absence de titre exécutoire judiciaire prescrivant le versement de ladite contribution pécuniaire. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État le 28 février 2020, le juge constitutionnel a examiné le grief tiré de la rupture d’égalité. Le requérant soutenait que la loi introduisait une différence de traitement injustifiée entre les époux s’acquittant volontairement de leurs charges et ceux y étant contraints. La juridiction devait déterminer si l’exigence d’une décision de justice pour autoriser une déduction fiscale respectait les principes d’égalité devant la loi et les charges publiques. Le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition contraire à la Constitution, estimant que cette distinction ne reposait sur aucun motif d’intérêt général ou différence de situation.

I. L’identification d’une rupture d’égalité injustifiée

A. Le caractère arbitraire du critère de la décision de justice

Le Conseil constitutionnel rappelle que le principe d’égalité n’interdit pas au législateur de régler de façon différente des situations distinctes. L’article 156 du code général des impôts subordonnait pourtant la déduction de la contribution aux charges du mariage à l’existence d’une décision de justice. Cette condition créait une distinction manifeste entre les citoyens selon qu’ils exécutaient spontanément leurs devoirs civils ou qu’ils subissaient une contrainte judiciaire. Le juge souligne que les époux ont l’obligation légale de contribuer à ces charges, indépendamment de toute intervention d’un magistrat dans leur vie conjugale. L’imposition d’un critère procédural pour bénéficier d’un avantage fiscal semble ainsi déconnecté de la réalité de l’obligation civile sous-jacente définie par le code civil. La juridiction relève que cette différence de traitement n’est en rapport direct avec aucun objectif législatif légitime, rendant le dispositif fragile juridiquement.

B. L’absence de justification par la lutte contre l’évasion fiscale

L’administration avançait l’argument de la prévention des fraudes pour justifier la nécessité d’un contrôle judiciaire préalable sur le montant des sommes versées. Le Conseil constitutionnel écarte fermement ce raisonnement en soulignant qu’une décision de justice « n’a ni pour objet ni nécessairement pour effet de garantir l’absence de toute optimisation fiscale ». Le magistrat considère que le versement spontané d’une contribution ne permet pas, à lui seul, de caractériser une volonté d’échapper indûment à l’impôt. Le simple respect volontaire de la loi par le contribuable ne saurait constituer une situation différente de celle d’un époux contraint par une sentence. En l’absence de différence de situation caractérisée au regard de l’optimisation fiscale, le maintien de la disposition litigieuse heurtait frontalement la Déclaration de 1789. Cette analyse conduit naturellement le juge à censurer les mots contestés afin de rétablir une équité réelle entre les différents types de contribuables.

II. Les conséquences de l’abrogation de la disposition litigieuse

A. La consécration de la neutralité de l’exécution des obligations civiles

L’abrogation des termes « lorsque son versement résulte d’une décision de justice et » entraîne une modification substantielle du régime des déductions fiscales pour les époux. Désormais, le seul critère pertinent demeure l’existence d’une imposition séparée et la réalité du versement effectué au titre de la contribution aux charges du mariage. Cette décision renforce la cohérence entre le droit civil et le droit fiscal en ne pénalisant plus l’exécution volontaire des obligations nées de l’union. Le législateur se voit ainsi rappelé à l’ordre quant à l’usage de critères formels qui ne reflètent pas une différence de capacité contributive réelle. La solution favorise une lecture plus simple de la loi fiscale, débarrassée d’une condition procédurale qui apparaissait comme un obstacle inutile aux droits des justiciables. Cette évolution garantit que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » conformément aux principes républicains.

B. La modulation des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité

Le Conseil constitutionnel précise que la déclaration d’inconstitutionnalité s’applique immédiatement à toutes les affaires qui ne sont pas encore jugées définitivement à la date de publication. Cette précision assure une protection effective pour les contribuables ayant déjà engagé des recours contre les refus de déduction opposés par les services fiscaux. Le juge use de son pouvoir de modulation temporelle pour garantir que l’abrogation bénéficie directement à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et aux autres requérants. En déclarant les dispositions contraires à la Constitution, il empêche leur application dans les instances en cours, marquant ainsi la fin d’une pratique administrative jugée discriminatoire. La décision préserve néanmoins la sécurité juridique en ne remettant pas en cause les situations définitivement réglées par le passé sans contestation préalable des contribuables. Cette gestion des effets dans le temps illustre la volonté de concilier le respect de la hiérarchie des normes et la stabilité des finances publiques.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture