Le Conseil constitutionnel, par une décision du 19 juin 2020, se prononce sur la conformité à la Constitution de l’incrimination de recel d’apologie d’actes de terrorisme. Un requérant a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité dénonçant l’atteinte portée à la liberté d’expression par la combinaison des articles 321-1 et 421-2-5 du code pénal. La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 24 mars 2020, a renvoyé cette question au juge constitutionnel pour examiner la proportionnalité de cette répression. Le requérant soutient que la simple détention de fichiers, sans volonté de commettre un acte terroriste, ne saurait faire l’objet d’une condamnation pénale sévère. Le Conseil constitutionnel doit déterminer si la répression du recel d’apologie du terrorisme constitue une ingérence nécessaire et proportionnée dans l’exercice de la liberté de communication. Il déclare l’interprétation jurisprudentielle créant ce délit contraire à la Constitution, tout en maintenant la validité du texte législatif sous une réserve d’interprétation stricte.
I. La censure d’une incrimination prétorienne jugée superfétatoire
A. La consécration contestée du recel d’apologie par le juge judiciaire
La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 janvier 2020, a étendu le délit de recel au domaine de l’apologie du terrorisme. Elle a jugé qu’entre dans les prévisions de la loi le fait de « détenir, en toute connaissance de cause, des fichiers ou des documents caractérisant l’apologie d’actes de terrorisme ». Cette construction jurisprudentielle exigeait également que la détention matérielle s’accompagne d’une « adhésion à l’idéologie exprimée dans ces fichiers ou documents » pour caractériser l’infraction. Le juge judiciaire assimilait ainsi la possession de supports numériques à la détention du produit d’un délit, créant une infraction de détention particulièrement répressive.
Cette interprétation visait à combler un vide juridique après la censure de l’infraction de consultation habituelle de sites terroristes par le Conseil constitutionnel en 2017. Le requérant critiquait toutefois l’absence de distinction substantielle entre la consultation d’un site internet et le téléchargement du contenu apologétique sur un support informatique personnel. La répression reposait sur la seule présence de documents dans l’espace privé de l’individu, sans qu’une action de diffusion publique ne soit nécessairement envisagée par l’auteur.
B. L’existence d’un arsenal répressif suffisant pour la sauvegarde de l’ordre public
Le Conseil constitutionnel souligne que le législateur dispose déjà de nombreux outils pour prévenir la commission d’actes de terrorisme sans recourir à cette nouvelle incrimination. Il relève que « les autorités administrative et judiciaire disposent, indépendamment du délit contesté, de nombreuses prérogatives » pour surveiller et interpeller les individus présentant un comportement dangereux. La décision énumère les mesures de contrôle administratif, les techniques de renseignement et les incriminations spécifiques telles que l’association de malfaiteurs terroriste ou l’entreprise individuelle.
L’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public est ainsi assuré par des dispositions pénales et procédurales déjà existantes et très étendues. Le juge constitutionnel estime que le délit de recel d’apologie n’apporte pas de garantie supplémentaire indispensable pour empêcher la réalisation d’un projet terroriste en phase préparatoire. Cette profusion de normes répressives rend l’atteinte à la liberté d’expression non nécessaire au regard des buts de prévention recherchés par l’autorité publique.
II. La protection renforcée de la libre communication des pensées
A. Le caractère disproportionné de l’atteinte portée aux libertés individuelles
La liberté d’expression, garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789, impose que les restrictions soient « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Le Conseil constitutionnel observe que la simple détention de fichiers apologétiques ne participe pas à la diffusion publique d’idées dangereuses, sauf en cas de nouvelle publication. Il précise que « ni cette adhésion ni la détention matérielle desdits fichiers ou documents ne sont susceptibles d’établir, à elles seules, l’existence d’une volonté de commettre des actes terroristes ».
L’incrimination contestée punissait le seul fait de détenir des documents sans exiger une intention terroriste ou apologétique comme élément constitutif de l’infraction pénale. Cette absence d’élément intentionnel lié à la commission d’un acte violent rend la sanction de cinq ans d’emprisonnement manifestement excessive pour le justiciable. La protection de la sphère privée et de la liberté de pensée s’oppose à ce que la simple adhésion intellectuelle à une idéologie devienne un crime.
B. La portée de la réserve d’interprétation neutralisant le délit de recel
Pour préserver la loi du 13 novembre 2014, le Conseil constitutionnel émet une réserve d’interprétation interdisant de fonder des poursuites sur le recel d’apologie. Il affirme que les dispositions relatives à l’apologie du terrorisme « ne sauraient donc, sans méconnaître cette liberté, être interprétés comme réprimant un tel délit ». Cette formulation prive d’effet juridique l’interprétation extensive de la Cour de cassation tout en maintenant le texte législatif initial dans l’ordre juridique.
La décision garantit que nul ne pourra plus être condamné en France pour la seule possession de documents apologétiques, même en cas d’adhésion idéologique avérée. Le juge constitutionnel réaffirme ainsi son rôle de gardien des libertés fondamentales face aux tentatives de pénalisation des comportements purement intellectuels ou privés. Cette position consolide la jurisprudence antérieure protégeant les citoyens contre une surveillance étatique intrusive des contenus numériques consultés ou conservés sans intention criminelle caractérisée.